Honey Thaljieh : Le foot féminin ? Une révolution !

Published by Brigitte Nérou | On 28 March 2019
Honey Thaljieh, événement « Save the Dream », Times Square, New-York, novembre 2015. © Wikimedia Commons
Honey Thaljieh lors d'une session organisée par l'association « Save the Dream », Times Square, New-York, novembre 2015. Wikimedia Commons

Cofondatrice et ancienne capitaine de l’équipe nationale palestinienne de football féminin, Honey Thaljieh est aujourd’hui directrice de la communication entreprise de la Fifa. Rencontre avec une battante qui milite pour la pratique sportive des femmes, comme moteur de l'évolution des mentalités et de l'amélioration de la condition féminine.

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Le football nous donne une identité, nous qui en avons été privés, nous qui avons grandi entre les check-points, dans l’insécurité et la peur.
Vous l’avez souvent raconté : pour avoir le droit de jouer au football, vous avez eu à convaincre votre père, et ça n’a pas été simple ! Mais quel rôle votre mère a-t-elle joué ?

Celui de supporter secret ; elle est derrière mon succès, en somme. On ne peut pas dire, en effet, que mon père était heureux de voir sa fille jouer au foot dans les rues de Bethléem – qui plus est toujours avec des garçons !  Il me punissait parfois, me faisait promettre d’arrêter. Et alors ma mère intervenait, lui demandant de ne pas se montrer trop sévère : « Mais laisse-la donc faire ! Quand elle aura quinze ou seize ans, elle finira bien par comprendre que le football ne la conduira nulle part ! » Et ça me blessait, parce que ce que j’entendais en filigrane, c’était qu’elle pensait qu’en grandissant, je finirais bien par abandonner et par obéir au système et à la pression sociale, et qu’elle arrêterait de me défendre – ce qui signifierait encore plus de pression sur moi.
Alors qu’à l’école – elle enseignait à l’école primaire où j’étais élève – elle était la première à m’encourager quand je jouais au foot avec les garçons et à applaudir quand je marquais un but ! Mais elle me soutenait à sa façon, parce qu’elle respectait les décisions de mon père. Dans une société patriarcale, ce sont les hommes qui décident dans tous les domaines d’où cette duplicité maternelle… Même mes sœurs se chargeaient de me prévenir quand mon père rentrait du travail, pour m’éviter de me faire gronder ; pourtant, je ne faisais rien de mal.

Votre combat pour la reconnaissance du football féminin n’est-il pas également un combat pour imposer un regard différent sur votre pays ?

J’ai réalisé que le football était bien plus qu’un jeu : un outil politique fort permettant de faire passer des messages au reste du monde au sujet des Palestiniens ; mais qui permettait aussi d’en finir avec les préjugés attachés aux femmes, d’offrir de nouvelles opportunités. Le football nous donne une identité, nous qui en avons été privés, nous qui avons grandi dans une zone de guerre, entre les check-points, et avons été confrontés à des défis quotidiens avec, chaque jour, notre lot de peur et d’insécurité. Voilà ce qu’a été mon enfance et celle de bien d’autres Palestiniens… Je suis persuadée que le football a le grand pouvoir de réunir les peuples, mais aussi qu’il permet de nous situer sur la carte ! Aujourd’hui, quand on tape « Palestine » dans un moteur de recherche sur internet, aucun résultat ne s’affiche associant « Palestine » à « Etat »… Mais si on entre « Palestine » et « FIFA », le résultat qui s’affiche est bien Palestine, comme membre à part entière reconnu par la Fédération internationale : ce que la politique n’est pas parvenu à faire, le football l’a fait.
C’est là que l’on peut mesurer le pouvoir du football sur les Palestiniens – et particulièrement sur les Palestiniennes : il nous a permis de révéler une autre histoire des femmes palestiniennes, et des Palestiniens en général. Une histoire faite de succès et de célébration de la vie, et non de destruction et de désespoir. Car c’est ainsi que le reste du monde nous voit, entre terrorisme et attaques… On a une vision biaisée de la Palestine et des talents qu’elle recèle, du potentiel de ses habitants, hommes et femmes. Et le football est une bonne manière de faire changer ce point de vue, plus particulièrement sur les femmes de Palestine.


Il faut offrir davantage d’opportunités aux femmes. Elles apportent de la diversité, de la discussion, plus de succès, de résultats et d’attention. Prenez l’exemple des Etats-Unis : les femmes ont rapporté trois coupes du monde, et les hommes, pas une seule. Les femmes peuvent tant apporter à leurs nations respectives !
L’équipe palestinienne de football féminin a quinze ans. Quel bilan tirez-vous de ces quinze années ? Diriez-vous que l’existence de cette équipe a contribué à faire évoluer la condition des femmes ?

Bien sûr, il y a eu une évolution phénoménale, je parlerais même d’une révolution ! Avant, la pratique féminine du sport était cantonnée au cadre scolaire. Il n’y avait pas une seule femme dans le sport de haut niveau ni au sein de la Fédération de football. Aujourd’hui, pour n’évoquer que la situation de la Palestine, trois ou quatre femmes ont intégré la Fédération de football, c’est même une femme qui en est la vice-présidente. Et des femmes occupent différents postes de très haut niveau – notre ministre du Tourisme est une femme, le maire de Bethléem, pour la première fois de son histoire, est une femme… Selon moi, tout cela est lié : l’équipe de football féminine a attiré l’attention sur elle ; elle a fait pleuvoir les critiques, mais elle a fait parler d’elle. Peu à peu, les gens ont pris conscience qu’on parlait de notre équipe dans les médias, à la télé, et que cela contribuait à changer les mentalités et à faire considérer autrement le peuple palestinien à travers le monde.
Même mon père a fini par changer quand il a réalisé ce que représentait le sport féminin. Et pour moi, c’est une sacrée réussite ! Si je suis parvenue à le faire changer d’avis, ça signifie que je peux faire changer la mentalité de beaucoup de gens dans le monde, sur les femmes, sur le football, et sur leur rôle dans la société ! Plus on donne de pouvoir aux femmes, plus la société entière gagne en force. L’image d’une société passe par celle des femmes, qu’on le veuille ou non.
C’est pourquoi il faut offrir davantage d’opportunités aux femmes : parce qu’elles changent le paysage. Elles apportent de la diversité, de la discussion, plus de succès, de résultats et d’attention. Prenez l’exemple des Etats-Unis : les femmes ont rapporté trois coupes du monde, et les hommes, pas une seule. Les femmes peuvent tant apporter à leurs nations respectives !
Cette évolution est en marche même dans les pays arabes les plus conservateurs… C’est aujourd’hui une princesse saoudienne qui représente son pays aux Nations unies ! Il y a une pression internationale pour octroyer davantage de droits aux femmes. Trop, c’est trop ! Nous sommes au XXIe siècle, et nous sommes encore en train de lutter pour les droits des femmes. Les femmes sont instruites, elles sont intelligentes, elles ont leur place dans les affaires, dans la politique, dans le sport : partout ! Ce dont elles ont besoin, c’est d’opportunités. Qu’on leur ouvre les portes, et les résultats sont fantastiques. C’est ce qui s’est produit en Palestine. Aujourd’hui, nous avons des centaines de licenciées, des clubs, des ligues, des femmes dans leurs équipes dirigeantes… Tout cela en quinze ans !


Si vous aimez votre fille, laissez-la jouer au foot : ça la rendra plus forte pour batailler dans la vie et prendre son destin en main.
Que diriez-vous aux parents d’une jeune fille pour les convaincre de la laisser jouer au football ?

Je leur dirais que le sport change la vie, ça rend plus confiant, qu’il rendra leur fille plus forte pour batailler dans la vie et prendre son destin en main. La vie n’est pas facile, et il faut apprendre à se bagarrer – surtout quand on est une fille. Si elle n’est pas assez forte, quand elle aura à faire face à des défis, elle se sentira facilement frustrée, déprimée, et même désespérée. Faire du football, c’est une école de la vie : ça lui apprendra l’esprit d’équipe, mais aussi à gagner – et à perdre –, à savoir tomber pour mieux se relever. Quand on perd, on a envie de recommencer pour gagner la fois suivante. Il n’y a que dans le football qu’elle pourra apprendre ce genre de choses. Si vous acceptez de laisser jouer votre fille, vous lui offrirez une vie plus facile, elle saura trouver sa voie, parce qu’elle aura appris à se battre. Ce qui se passe sur le terrain est à l’image de ce qui se passera en-dehors. Si vous aimez votre fille, laissez-la jouer au foot : ça peut changer sa vie, ça peut l’autoriser à rêver, et les rêves sont sans limite.

Pariez-vous sur la qualification d’une nation arabe ou pour la coupe du monde féminine de football 2023 ?

La Jordanie n’a pas été loin de la qualification pour la coupe 2019 ; elle est en bonne position pour y parvenir en 2023. L’Iran a aussi un gros potentiel et de très bonnes joueuses. Peut-être aussi les nations nord-africaines : l’Algérie, la Tunisie ainsi que l’Egypte, toutes ont leur chance. Quant à la Palestine… ce serait un rêve pour nous, naturellement. Nous avons un gros potentiel nous aussi, et de magnifiques talents, particulièrement chez les plus jeunes. Nous espérons bien leur tracer le chemin, et leur apporter le soutien nécessaire pour qu’elles y croient. Mais oui, je pense vraiment qu’il y aura une équipe arabe en 2023. Inch Allah !

Brigitte Nérou, rédactrice en chef du blog de l'IMA
Brigitte Nérou Avec plus de quinze ans d’expérience dans l’édition, Brigitte a rejoint l’Institut du monde arabe en 2003 comme secrétaire de rédaction du magazine Qantara . Elle prend à présent la... Lire la suite
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Présidence Publié par Jack Lang | le 10 October 2016

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