Jean Nouvel et Jack Lang au JDD : "L'Institut du monde arabe est agressé"

Published on 13 January 2020

Jean Nouvel et Jack Lang condamnent le projet mitoyen à l'Institut du monde arabe.

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Ce projet nous paraît offensant à l’égard de deux architectures phare du XXe siècle, celle de Jean Nouvel et Architecture Studio, et celle d’Edouard Albert (1910-1968), à qui l’on doit Jussieu et que Malraux portait en grande estime.
Jack Lang

Vous vous opposez vigoureusement au projet « Paris Parc » qui doit être construit par Bjarke Ingels (BIG) pour Sorbonne Université, à Jussieu, à côté de votre Institut du Monde Arabe. Pourquoi ?

Jean Nouvel : L’IMA est le premier des grands projets présidentiels de François Mitterrand. Ma proposition a été choisie dès 1981. A l’époque, ce projet avait fait l’objet d’une grande étude contextuelle, prenant en compte le positionnement du bâtiment et sa relation avec l’université voisine. Car cet édifice avait aussi pour ambition de résoudre un certain nombre d’incohérences urbaines dans le quartier. J’ai proposé de le construire en continuité de la barre Urbain Cassan, le long de la Seine, afin d’ouvrir une grande perspective piétonne allant du fleuve jusqu’au jardin des Plantes. L’IMA a ainsi été conçu comme une rotule urbaine, de la même hauteur que l’université, c’est-à-dire 32 mètres. Tout était callé au centimètre près. Ce plan général a été conservé pendant près de 40 ans. Jusqu’à aujourd’hui avec ce triste projet…

Jack Lang : Ce projet nous paraît offensant à l’égard de deux architectures phare du XXe siècle, celle de Jean Nouvel et Architecture Studio, et celle d’Edouard Albert (1910-1968), à qui l’on doit Jussieu et que Malraux portait en grande estime. C’est d’autant plus douloureux pour moi que je suis en partie à l’origine de la construction de l’IMA, en tant que ministre de la Culture, mais aussi de la rénovation – et du désamiantage – de Jussieu, en tant que ministre de l’Education nationale dans les années 2000-2002. L’IMA de Jean Nouvel, que j’ai personnellement défendu auprès de François Mitterrand, portait une vision architecturale mais aussi urbaine, à partir du parvis. Plus tard, l’idée que j’ai essayé d’exposer à la Ville de Paris et à l’Etat était de concevoir ici un nouveau quartier latin. Une vision urbaine forte et originale. Avec ce projet actuel, cette vision se meurt en grande partie.

Que reprochez-vous au projet de BIG ?

Jean Nouvel : Sorbonne Université a décidé, dans la plus grande discrétion – je n’ai même pas été consulté ! –, de changer les plans d’urbanisme, d’enclore le parvis de l’IMA et de fermer la perspective paysagère de 400 mètres de long. Puis elle a organisé un concours d’architecture il y a une dizaine d’années, qui a débouché sur la proposition de BIG. Ce projet lauréat consiste à construire, en bordure du parvis, un banal incubateur à start-up. Cet immeuble imposant de BIG – 32 mètres de haut, de même hauteur et de même échelle, donc – doit s’élever le long du parvis, en équerre avec l’IMA, à seulement quinze mètres des moucharabiés ! Il est en miroir et de biais, dans le but non seulement de refléter la façade de l’IMA, de se l’approprier, mais aussi d’imprimer un reflet parasite sur elle.

 

C’est peut-être un hommage ?

Jean Nouvel : S’il s’agit d’une relation amoureuse, elle n’est pas consentie ! Je dis souvent qu’il y a deux façons de détruire une œuvre architecturale : la démolir ou l’affubler d’un bâtiment ignoble. L’IMA est devenu une référence parce qu’il a un sens ; si vous tuez ce sens, c’est fini ! Je le vis comme une agression, certainement pas un geste d’amour et de respect. C’est méprisant. Il s’agit soit de provocation, soit d’insensibilité, soit d’inculture architecturale.

Jack Lang : Jean Nouvel est une star internationale, une fierté pour la France. Et c’est l’IMA qui a révélé son immense talent. Il faut le respecter.

 

Savez-vous, Jean Nouvel, que Bjarke Ingels vous admire beaucoup, qu’il considère votre travail comme « une référence absolue » ?

Jean Nouvel : Je n’ai rien contre lui. Mais tout le monde sait qu’il est l’un des architectes les plus tonitruants de la planète, qui a besoin d’exister. Vous allez me dire que c’est le cas de tous les architectes ; je ne le crois pas. Personnellement, je suis un contextuel. Je pense que tous les architectes devraient tenir compte du contexte. Ce projet de BIG est le contraire de la contextualité. Il a fallu qu’on tombe sur lui… J’ajoute que construire à Paris, c’est assez inhibant, normalement ; le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’est pas inhibé, lui. Il est allé jusqu’à chercher le reflet de Notre-Dame dans l’inclinaison de sa façade ! En quoi cela fait-il sens ? L’architecture, ce n’est pas un caprice.

Jack Lang : Jean Nouvel et Bjarke Ingels ont eu une conversation téléphonique ici même, dans mon bureau au sujet de ce projet polémique. Une longue discussion courtoise mais vigoureuse. Bjarke Ingels, que j’ai aussi rencontré à New York, s’est montré plein de bonne volonté. Il a fait une proposition qui aurait limité un peu la casse, qui consistait à reculer le bâtiment de plusieurs dizaines de mètres. Mais les autorités universitaires n’ont pas voulu changer les plans.

 

Ce projet peut-il faire de l’ombre, au sens propre, à l’IMA ?

Jean Nouvel : L’impact de l’ombre portée sur la façade sud de l’IMA est indéniable. Nous avons fait des simulations heure par heure. Ce n’est pas de la paranoïa. Les moucharabiés de l’IMA s’ouvrent et se ferment en fonction de la température et de la quantité de lumière. Mais le problème, ce n’est pas cela, c’est que tout le monde se fout de la pureté d’une des façades les plus précieuses qui ait été construites à Paris depuis un siècle. Rem Koolhaas [l’architecte néerlandais, mentor de Bjarke Ingels, ndlr] a dit « Fuck the context » dans d’autres circonstances, mais je suis sûr qu’il ne ferait pas ça.

 

Qu’est-ce qui vous attriste le plus ?

Jean Nouvel : C’est la première fois qu’on s’attaque à un grand projet présidentiel. Qu’aurait-on dit si on construisait un bâtiment miroir à quinze mètres du centre Pompidou ou de la pyramide du Louvre. Franchement, ça ne se fait pas. Ce n’est pas moi que je défends. L’IMA est aujourd’hui reconnu comme l’un des bâtiments faisant partie du patrimoine du XXe siècle, il doit être respecté en tant que tel.

Jack Lang :

Cette situation est d’autant plus attristante que Sorbonne Université est présidé par une personne de grande qualité, Jean Chambaz, qui mène avec talent et intelligence son action de modernisation. Il est aussi président de la Sorbonne Abou Dabbi, avec laquelle nous avons, à l’IMA, des liens étroits.

 

Le bâtiment de l’IMA n’est-il pas protégé ?

Jean Nouvel : En décembre 2018, l’IMA a été inscrit à l’inventaire des Monuments historiques, à l’unanimité de la Commission du patrimoine d’Île-de-France. Ce qui devrait le protéger – il n’est pas possible de construire n’importe quoi dans les 500 mètres alentour. Mais étrangement, le préfet de Région n’a pas rendu cette décision publique. Il doit se dire qu’elle est susceptible de remettre en cause le projet dont il a signé le permis de construire. Cette information ne doit pas rester confidentielle ! Il y a une omerta sur cette affaire, depuis le début. Après avoir été mis en sommeil pendant plusieurs années, ce projet est secrètement ressorti des cartons. Il a même fait l’objet d’une « première pierre virtuelle », comme par hasard en plein mois d’août [2019], avec Anne Hidalgo et Valérie Pécresse. Je n’ai pas été convié…

 

L’IMA avait déposé un recours devant le tribunal administratif. Ce n’est plus d’actualité ?

Jack Lang : C’est secondaire… Le problème n’est pas juridique, il s’agit de la volonté politique de l’Etat et de la Ville. On ne peut pas ramener ces questions d’architecture quasi-philosophiques à de basses histoires de procédure. C’est au-delà du droit. Quand j’étais ministre, jamais je n’aurais accepté une telle situation contraire à ma philosophie de l’urbanisme et de l’architecture, à la vision de Paris et du patrimoine. Sur ce sujet, nous avons rencontré les autorités universitaires, les responsables de l’Etat, les ministres de l’Enseignement supérieur, de la Culture, de la Cohésion des territoires, la maire de Paris, etc. On nous oppose une fin de non-recevoir systématique.

 

Qui porte la responsabilité de ce projet, selon vous ?

Jean Nouvel : Quand on est ministre ou maire de Paris, on doit avoir conscience que cette ville est un territoire de témoignage historique et architectural d’exception. Or cette ville que j’aime tant se dégrade, avec des projets « boites à chaussures » qui affaiblissent ce témoignage. Nous avons perdu à Paris la reconnaissance de ce qu’est l’architecture.

Jack Lang : Nous ne menons pas un combat contre un gouvernement, contre une municipalité ou contre un architecte. Nous voulons mettre sur la place publique un débat qui devrait inspirer les écoles d’architecture, susciter une prise de conscience de la part des architectes et urbanistes. Jean Nouvel s’est toujours battu, comme moi, pour la préservation des architectures antérieures, témoin d’une époque. Sans encore se connaître, nous avons été des militants hostiles à la destruction des halles de Baltard, par exemple. Notre action est citoyenne.

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Présidence Publié par Jack Lang | le 10 October 2016

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