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[#LImaALaMaison] Une brève histoire de la pomme

[#LImaALaMaison] Une brève histoire de la pomme

Pour soutenir toutes celles et tous ceux qui sont confinés chez eux durant l'épidémie de Covid-19, et en relai de l'opération "Culture chez nous" du Ministère de la culture, l'Institut du monde arabe se virtualise et met en place #LImaALaMaison, une programmation spéciale sur son site et les réseaux sociaux. 

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Pendant une petite dizaine d'années, à la création de l'IMA, un gourmet érudit signa une succession de rubriques dans la revue de l’Institut, Qantara, sous le pseudonyme de Ziryâb. Autant d'odes à la gastronomie arabe d'hier et d'aujourd'hui et à l'histoire des fruits, légumes et condiments qui font toute sa saveur. Ce sont ces « Propos de table », aujourd’hui introuvables, que nous vous proposons de redécouvrir ici

Scott Lee

 

Bien que cette chronique soit consacrée à la pomme, je ne me crois nullement obligé de rabâcher la fâcheuse aventure d’Adam et Eve. La Bible, d’ailleurs, ne nous dit jamais si le fruit défendu était une pomme, une figue ou un abricot. Et puis, quel que soit l’arbre de la connaissance du Bien et du Mal, force est de constater que la morale de l’histoire très immorale. Que nous enseigne-t-elle, en effet, sinon que Dieu, pour reprendre un mot célèbre de Diderot, préfère ses pommes à ses enfants ? Je trouve plus édifiante la légende des fruits d’or du jardin des Hespérides, qui fait du pommier l’arbre de Vie, et plus curieuse celle de la pomme de Discorde, sans laquelle Pâris n’aurait pas enlevé la belle Hélène, ni Homère écrit l’Iliade.

Mais plutôt que m’appesantir sur des mythes que chacun connaît, je convie ceux qui aiment vraiment la pomme à percer eux-mêmes son secret. Qu’ils tranchent une pomme dans le sens de la largeur. Ils découvriront au centre de chaque moitié, une étoile à cinq branches. C’est le symbole du savoir, mais aussi du pouvoir, à quoi ils pourront rattacher, avec un peu d’imagination, la plupart des histoires qui courent sur la pomme depuis l’aube du temps. Qu’ils en coupent une autre, à la verticale, entre le pédoncule et le « nombril », ils verront apparaître, sans être pour autant particulièrement pervers, l’image d’un sexe féminin. Ce qui leur évoque d’autres histoires, où la pomme figure les désirs terrestres, la nourriture merveilleuse et le perpétuel renouvellement. Mais ils l’auront compris, rien qu’en palpant ces formes arrondies, ce galbe, cette peau si douce qui sont les signes d’une exquise féminité

Les états de la pomme

Si vous vous êtes demandé un jour pourquoi l’empereur de Byzance tenait une pomme dans sa main vous savez désormais à quoi vous en tenir. Il signifiait ainsi à ses sujets qu’il dominait de sa puissance la terre entière. Quant à Vénus c’était évidemment dans un tout autre dessein : devenir pour l’éternité le symbole de l’amour charnel. Or je crois pouvoir démontrer que nos ancêtres les Arabes ont privilégié la seconde signification de la pomme, sans pour autant méconnaître la première. J’y reviendrai. En attendant, j’insiste sur un fait historique majeur : presque tous les peuples de l’Ancien Monde, et nous ne faisons pas exception, ont fréquenté la pomme dans ses deux états, sauvage et cultivé, et contribué à sa gloire. Adulée en Égypte, où Ramsès II fit planter des pommiers sur les rives du Nil, magnifiée par le roi Salomon dans le Cantique des Cantiques, choyée par les Grecs puis les Romains, elle finit par s’imposer dans beaucoup de pays de ce côté-ci de la Méditerranée, comme le fruit des fruits. On ira jusqu’à l’appeler pomum, du nom générique de tous les fruits et elle prêtera à son tour le siens à d’autres fruits moins courant : l’abricot, dit « pomme d’Arménie », la pêche, « pomme de Perse », ou la tomate, des siècles plus tard, qui sera « pomme d’or », ou « pomme d’amour ».

Il est assez étrange de retrouver cet usage chez Ibn al-Baytâr, au XIIIe siècle, dans son Traité des simples, car la pomme, pour être fort prisée en terre d’Islam, n’y était pas aussi universelle que la figue ou la datte. Le grand botaniste marquait probablement de la sorte sa fidélité aux Anciens… ou aux pommes. Avant lui, dans la Bagdad du VIIIe siècle, Hunayn ibn Ishaq, médecin et traducteur hors pair, en était aussi très épris, donnant sa préférence aux pommes de Syrie, notamment la Fathî, recherchée par les connaisseurs pour son parfum. Il en mangeait tous les jours, avec des coings, après avoir bu sa copieuse ration de vin vieux. Trente mille pommes de cette variété étaient expédiées chaque année au palais du calife, et la Fathî sera tout autant appréciée au Caire, sous les Ayyoubides et les Mamelouks, les coptes l’offrant, la veille

de l’Epiphanie, à leurs prêtres, comme le faisaient aux leurs les anciens Égyptiens. Or ce n’était qu’une variété parmi les vingt qu’on pouvait déguster à Damas. Sans parler des pommes du Liban, évoquée par les poètes Abû Nuwâs et Mutanabbî, mais aussi, dans la lointaine Espagne, par Ibn Khafâja. Je présume que le Maghreb ne manquait pas de ces pommes-là, gorgée de saveur et de senteur, comme il n’en existe plus de nos jours. Il y en avait, en tout cas, à Djerba, en Tunisie, dont on disait qu’elles « ranimaient le cœur ». Ce devait être les mêmes que réclamait la bien-aimée dans le Cantique des Cantiques : « Ranimez-moi avec des pommes, car je suis malade, et c’est d’amour. »

Pomme, fruit de l’amour

Venons-en justement là : il n’y a pas de fruit qui se prête autant que la pomme à la métaphore amoureuse. Dans la poésie arabe, tout en elle, la forme, le goût, l’arôme, la couleur, la consistance, contribué à célébrer le corps de la femme. Ainsi est-elle, tour à tour, joue, bouche, sein, hanche, et parfois l’emblème de tous les sens réunis dans le plaisir, comme ce poème du Kairouanais Ibn Rashîq où la pomme figure la croupe qu’il caresse, les effluves qu’il hume, la saveur fruitée des lèvres, le rougeoiement des joues… N’est-ce pas, d’ailleurs, pour exprimer de telles sensations que les Arabes, à l’instar des Grecs, avaient l’habitude de lancer à la personne aimée, homme ou femme, une pomme mordue ? Ibn al-Mu’tazz, calife d’un jour, le dit joliment : « Pomme mordue, messager des baisers », image sur laquelle plusieurs poètes tardifs viendront broder. Certes, nous n’en sommes plus là, mais n’oublions pas que le poète syrien Badawî al-Jabal, dans son éloge du génial et pourtant misogyne Ma’arrî, lui murmure : « Ah ! si tu avais connu les vertus de la pomme ! » Et qu’un autre Syrien, Nizâr Qabbâni, suggère les plaisirs de Lesbos par l’image de deux pommes qui se frôlent.

A l’âge classique, la pomme recelait aussi la symbolique du savoir et du pouvoir, ainsi qu’on la voit dans l’onirologie traditionnelle, et ce fut à la suite d’un rêve où il était question de pommes, mais en nombre limité, que le calife omeyyade Hishâm ibn ‘Abd al-Malik cessa d’en manger. Fort heureusement, ses sujets furent plus perspicaces. Ils ne se contentèrent pas, en effet, de croquer des pommes, mais les utilisèrent aussi dans leur cuisine. Dès le Xe siècle, le Bagdadien Ibn Sayyâr donnait la recette d’un khabîs apprêté avec des pommes du Liban, pelées, épépinées, séchées au soleil est réduites en poudre. Dans le traité de Baghdâdî, datant du XIIIe siècle, j’ai trouvé une autre recette, salée cette fois, et plusieurs chez son contemporain alépin Ibn al-‘Adîm, comme ce riche zirbâj qui réunit au moins onze ingrédients (viande, pois chiches, vinaigre, miel, safran, coings, pommes, amandes, jujubes, pistaches, menthe fraîche…), ou ce ragoût qui marie les pommes acides et les côtes de blette. A la même époque, en Espagne, comme aujourd’hui au Maroc, on pouvait préparer certains mets de viande d’agneau (ou de volailles) avec des coings ou des pommes, pourvu que celles-ci fussent fermes et acides. Et ce sera le cas à Damas, au tournant du XVe siècle, selon le polygraphe Ibn ‘Abd al-Hâdî. Mais dans tous ces ouvrages, il n’est jamais fait mention du cidre, ce qui étonne, surtout de la part d’Ibn Sayyâr, car il n’hésitait pas à citer des boissons fermentées. Le cidre a pourtant existé, pas en Syrie ni au Liban comme on pourrait s’y attendre, mais en Irak, sur la foi d’un poète bachique qui savait apparemment de quoi il parlait.

Qu’ajouter sinon que la pomme est un aliment des plus sains, peut-être même le plus vitalisant des fruits ? A ses nombreux bienfaits qu’on a vous a certainement ressassés depuis l’enfance, Râzî ajoute la propriété d’engendrer l’oubli. Raison de plus que suffisante, en notre horrible fin de siècle, pour en manger tous les jours.

Ziryâb

▬▬▬ Recettes ▬▬▬ 

 

Mouton aux pommes (pour 4 personnes)

Recette algérienne

 

600 gr d’épaule d’agneau coupée en 8 morceaux

1 kg de pomme acides

2 oignon coupé en 4

50 gr d’amandes mondées

Sel, poivre, sucre, beurre ou samn, safran, cannelle en poudre

Eau de fleur d’oranger

½ citron

 

Faites revenir la viande et l’oignon dans le samn à feu doux, et lorsqu’ils sont dorés, couvrez-les d’eau et ajoutez une pincée de cannelle, une pointe de poudre de safran et très peu de sel et de poivre.

Pendant que la viande cuit doucement, préparez les pommes en les pelant, puis en coupant chacune en 4 avant de les nettoyer de leurs pépins et de leurs loges. Frottez-les avec un demi-citron et ajoutez-les à la viande, 20 minutes avant de servir, avec une cuillerée de sucre en poudre et une autre d’eau de fleur d’oranger.

Pour servir, retirez les morceaux d’oignon et disposez la viande dans un plat rond, entourée des pommes. Décorez avec les amandes (que vous aurez fait dorer dans du samn) et avec une autre pincée de cannelle.

 

N.B. Vous pouvez enrichir votre plat avec des pruneaux, mais il vaut mieux alors éviter le sucre.

 

La Tuffâhiyya (pour 4 personnes)

Recette arabe médiévale

 

600 gr d’épaule d’agneau coupée en 8 morceaux (ou un poulet moyen)

2 belles pommes acides

1 oignon coupé en demi-lunes

50 gr d’amandes mondées

Huile d’olive

Sel, poivre, poudre de coriandre sèche, poudre de menthe sèche, cannelle en bâtonnet et en poudre, gingembre moulu

 

Faites revenir la viande, ou le poulet, dans un peu d’huile. Ajoutez l’oignon, puis une pincée de coriandre moulue et une autre de sel.

Une fois la viande, ou le poulet, bien dorée, couvrez d’eau chaude et ajoutez gingembre, menthe, poivre, ainsi qu’un bâtonnet de cannelle, et laissez cuire sur feu très doux pendant 30 minutes.

Enlevez le bâtonnet de cannelle et déposez dans la marmite les quartiers de pomme et les amandes. Saupoudrez de cannelle en poudre et remettez sur le feu jusqu’à cuisson.

 

N.B. Recette empruntée dans ses grandes lignes à David Waines, In a Caliph’s Kitchen, Londres, 1989. Selon la recette originale, qui se trouve dans le livre de Baghdâdî, la viande est mise à cuire dans du jus de pomme.

 

مقال منشور في27/03/2020

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