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Yemen, au pays de la Reine de Saba

  • 25 October 1997 - 26 April 1998
Yemen, au pays de la Reine de Saba
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Le Yémen occupe une place très particulière au Proche-Orient. Par son puissant relief qui surplombe, de plus de 3000 mètres, la mer Rouge, l'océan Indien et le désert du Rub al-Khâlî. Par l'abondance de ses pluies de mousson. Par son isolement, enfin, à l'extrémité de la péninsule Arabique, loin des grands foyers de civilisation.

L'originalité du Yémen réside autant dans le pays que dans les hommes. Ces montagnards attachés à leurs terrasses exiguës comme ces semi-nomades des marges du désert, fiers d'une tradition culturelle plus que millénaire, prétendent descendre directement des Himyarites ou des Sabéens. La société yéménite surprend en effet par ses permanences. Parmi les tribus qui ont joué un rôle important dans l'histoire des royaumes antiques, une dizaine subsiste encore de nos jours. Certes, les tribus se sont déplacées, leurs territoires souvent modifiés, des influences sans cesse extérieures exercées, mais nulle part ailleurs au Proche-Orient on n'observe une telle stabilité.

Les permanences sont diverses. Le voyageur se plaira à noter la hauteur et la décoration des maisons-tours, mais cet art de bâtir trouve ses origines dans l'architecture pré-islamique. Il remarquera aussi le rôle des tribus et la fragmentation politique qu'elle entraîne, mais de tous temps l'action de l’État sans accord tribal préalable fut impossible. La diversité des croyances juive, sunnite ou zaydite hérite d'une longue histoire souvent troublée. Le pays est en effet passé du paganisme au judaïsme ou au christianisme, puis à l'islam. L'Arabie du Sud se singularise enfin par son conservatisme linguistique : des langues sémitiques non arabes survivent encore dans certaines régions orientales (le Zufâr et l'île de Socotra).

Notre connaissance du Yémen repose sur une abondante documentation écrite : plus de dix mille fragments d'inscriptions sur pierre, métal et céramique. Les Hébreux, les Phéniciens et les Perses n'ont jamais légué de telles sources. Mais les plus étranges documents ne sont-ils pas ces nervures de palmiers couvertes de textes juridiques ou économiques ? La publication de ces archives ouvrira des horizons nouveaux à l'histoire antique.

Le principal problème réside dans le retard de l'archéologie. L'ouverture du pays est récente -moins d'une cinquantaine d'années- et quelquefois irrégulière. Mais la quinzaine de sites fouillés, principalement sur les marges du désert, ont permis des avancées spectaculaires dont l'exposition se propose de faire le point, et les prospections offrent encore de nouvelles perspectives de découvertes. Le Yémen est ainsi une terre riche de promesses pour l'archéologue et l'historien.

La découverte de l'Arabie

L'Arabie était bien connue des Anciens. Les Hébreux puis les Assyriens connaissaient plusieurs royaumes d'Arabie dès le Xe siècle avant notre ère. Mais la mention la plus célèbre de Saba est la visite de sa reine à Salomon... "avec des chameaux qui portaient des aromates et une quantité infinie d'or ". Récit hagiographique du roi Salomon et non document historique, ce texte comporte une lacune : le nom de cette reine de Saba est inconnu.

Plus tard, les historiens grecs et latins distinguent une Arabie Déserte d'une Arabie Heureuse qu'habitent les Sabéens, mais aussi d'autres peuples comme les Minéens, les Qâtabanites et les Hadramawtiques. En dépit de caractères distincts, un trait les unit: le commerce des aromates qui leur procure un luxe inouï. En 26-25 av. J.-C., les Romains tentent de s'emparer de la région. Mais l'échec de cette expédition terrestre coïncide aussi avec le développement des relations maritimes entre l'océan Indien et la mer Rouge. Dès lors, commerçants nabatéens et égyptiens contribuent à une meilleure connaissance de l'Arabie.

À l'époque moderne, il revient à l’Allemand Carl Jasper Seetzen (1807) et à l'Anglais J. R. Wellsted (1834) de copier les premières inscriptions — à Zafâr — sur la côte de l'océan Indien, et au Français Th. Arnaud d'atteindre en 1843 les ruines de Marib, l'antique capitale du royaume de Saba. Quelques années plus tard l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres envoie J. Halévy à la découverte de l'Arabie antique. Dès 1870, le déchiffrement des inscriptions "sudarabiques" est achevé.

À la fin du XIXe siècle, les expéditions allemande, autrichienne et anglaise se succèdent apportant des moissons de documents écrits et d'objets. Mais il faut attendre 1928 pour voir les premières fouilles allemandes, à al-Huqqa, au nord de Sanaa. Dix ans plus tard, une équipe anglaise dégage le site de Hurayda au Hadramawt. Enfin, au début des années cinquante, une mission américaine entreprend des fouilles à Tamna —l'antique capitale de Qatabân— et à Marib —celle de Saba.

La guerre civile au Yémen du Nord et l'indépendance du Yémen du Sud fermeront pour un temps le pays aux recherches. Il faudra attendre les années soixante-dix pour que des missions, française, italienne, allemande, russe et yéménite entreprennent des recherches respectivement dans le Jawf, sur les Hautes-Terres, à Marib et au Hadramawt.

Le Yémen, sommet de l'Arabie

Les Anciens l'avaient bien compris, l'Arabie Heureuse est un milieu exceptionnel. Le toit de la péninsule Arabique, culminant à 3760 mètres près de Sanaa, reçoit les abondantes précipitations des moussons de printemps et d'été. Une agriculture sèche en terrasses permet, dès la plus haute antiquité, l'implantation de populations sédentaires. Les piémonts, arrosés de torrents aux crues violentes, comptent un chapelet d'oasis. "Le pays est fertile, le miel abondant, le bétail nombreux", rapporte Eratosthène. Au nord et à l'est des monts du Yémen, vers 700 m d'altitude s’étend une "contrée sablonneuse et stérile où poussent quelques palmiers, des acanthes et des tamaris... et où vivent les Arabes nomades, éleveurs de chameaux ".

C'est pourtant sur les marges de ces territoires arides, le désert de Sab'atayn, que se sont développés les principaux royaumes sudarabiques. Plus à l'est enfin, le plateau du Hadramawt offre des horizons dénudés, entrecoupés de wâdîs à la végétation luxuriante.

La formation de l'Arabie

La présence de hauts reliefs et la répartition des principales unités géographiques s'expliquent par la position remarquable du Yémen en bordure des rifts (zones de rupture) de la mer Rouge et du golfe d'Aden.

Il y a 10 millions d'années, les plaques africaine et arabique s'écartent pour former le golfe d'Aden, et vers 5 millions d'années la mer Rouge. Cette séparation Afrique/Arabie, récente à l'échelle géologique, explique de part et d'autre les grandes similitudes de leur faune et de leur flore. Au Quaternaire, une intense activité volcanique et une alternance de phases humides et arides achèvent de modeler le paysage yéménite.

Préhistoire et Age du bronze

Voici 9000 ans environ, le Yémen est recouvert d'une végétation assez dense. Les lacs temporaires qui attirent le gibier, servent de campements aux chasseurs du Néolithique. Leurs abris aménagés dans les massifs gréseux tout proches sont ornés de figures gravées ou peintes. Dans la région de Saada, l'iconographie est variée : personnages en position d'orants, bouquetins, canidés et bovidés dont un buffle antique originaire de la Tanzanie. L'outillage taillé dans le silex, la quartzite ou l'obsidienne, se compose de pointes de flèches, de grattoirs et de racloirs.

Sur les hauts-plateaux du Hadramawt, un nombre considérable de monuments funéraires s'échelonnent entre le IVe et le IIe millénaire : des "cairns", des tourelles de pierres munies de longues queues et des tombes circulaires aux dalles dressées décorées de personnages. Plus tard, cette même région fournira quelques beaux exemples de ronde-bosse. Enfin, à l'àge du Bronze, les populations quittent ces hauteurs pour s'installer dans les affluents fertiles du wâdî Hadramawt.

On suppose traditionnellement que des populations sémitiques s'infiltrant, pacifiquement ou de force, en Arabie du Sud au milieu du IIe millénaire y trouvent des cultures indigènes. Sur la côte de la mer Rouge, la Tihâma, de nombreux sites montrent que des sociétés pratiquant agriculture irriguée et pêche, entretiennent des relations étroites avec la côte africaine. Parlant probablement le kouchitique, elles occupent notamment, dès la fin du IIIe millénaire un établissement prospère, Sabr, dans la région d'Aden.

Sabr se développe lentement à l'âge du Bronze, entre le XIIIe et le IXe siècle av. J.-C., et son matériel, sa faune et sa flore présentent plus d'affinités avec l’Éthiopie ou le Soudan qu'avec les cultures des piémonts intérieurs du Yémen. Les archéologues allemands et russes ont récemment mis au jour un imposant complexe architectural comportant des bâtiments à étage dispersés autour d'une cour centrale. Les cours annexes, servant au stockage, ont livré une grande quantité de céramiques, d'ossements d'animaux et de poissons, témoins d'une intense activité domestique. Sabr est probablement détruit par les Sémites vers le IXe siècle av. J.-C.

L'aube de l'Histoire

Le Pays de l'encens

Les Anciens considéraient que l'Arabie, "la dernière des terres habitées ", était choyée par les dieux. Ils enviaient ce pays qui, par ses senteurs fortes, procurait aux arrivants "un plaisir divin et ineffable" et à ses habitants richesse mais oisiveté. La Grèce et Rome importaient en effet, à grands frais, des résines odorantes comme l'encens et la myrrhe nécessaires au culte des dieux et aux rites funéraires, mais indispensables aussi à la préparation de toutes sortes d'huiles parfumées, d'onguents et de pommades.

Dans son Histoire Naturelle, Pline distingue d'abord le ladanum, sorte de résine provenant de l'exsudation des feuilles de diverses variétés de cistes. La myrrhe est une gomme-résine aromatique fournie par le balsamier, arbre épineux, haut de 3 à 5 mètres, incisé deux fois par an. En Arabie son emploi devait se limiter à la pharmacopée et à l'embaumement des corps.

Dans la mythologie phénicienne, l'arbre à myrrhe s'était fendu pour donner naissance au dieu Adonis. Mais l'Arabie tire sa gloire du plus mythique des parfums, l'encens (libnay en sabéen, libanus en latin et oliban en français), résine recueillie sur diverses variétés d'un arbre- le Boswellia- -qui pousse surtout au Hadramawt, au Mahra et au Zufâr. Parmi les autres plantes, mentionnons la cassia ou cannelle, le cardamome et le mastic.

Les pays de la Méditerranée orientale, connaissant l'existence des produits aromatiques par l’Égypte, commencent à en importer directement dès le VIIIe siècle av. J.-C.. Ainsi les caravanes quittent-elles le Zufâr et le Hadramawt pour gagner le Proche-Orient, au terme d'un périple long de quelque 2500 kilomètres et de 80 jours. Un tel trajet suppose une préparation méticuleuse et une sécurité générale des routes. Il explique des prix élevés à la vente sur les marchés de Grèce ou de Rome : les Romains payaient 62 grammes d'argent monnayé la livre du meilleur encens.

La récolte des aromates d'après Hérodote

" Du côté du midi, l'Arabie est la dernière des terres habitées ; on y trouve, et là seulement, l'encens, la myrrhe, la cannelle, le cinname et le ledanon (ou ladanum). Mais pour récolter ces produits (sauf la myrrhe) les Arabes doivent se donner beaucoup de mal.

Ils recueillent l'encens en faisant brûler du styrax, une gomme dont les Phéniciens font le commerce avec la Grèce, car les arbres qui donnent l'encens sont gardés par des serpents ailés, petits et de couleurs diverses, massés autour de chaque arbre. Rien ne peut les en écarter, sinon la fumée du styrax...

Pour la cannelle, les Arabes s'enveloppent le corps tout entier et le visage, sauf les yeux, dans des peaux de bœufs ou d'autres bêtes, avant d'aller la récolter. Elle pousse dans un lac peu profond, mais dont la rive et les eaux servent de demeure à des bêtes pourvues d'ailes, fort semblables à nos chauves-souris, qui poussent des cris effrayants et sont d'une force redoutable...

Le ledanon s'obtient d'une manière encore plus curieuse. Son odeur est des plus suaves, mais il vient d'un endroit les plus malodorants : on le trouve dans la barbe des boucs où il se forme, comme la gomme sort de certains arbres...

"Nous n'en dirons pas plus sur les parfums, mais de l'Arabie toute entière s'exhale une odeur divinement suave..."

Hérodote, l'Enquête, III, 107-113

La maitrise de l'irrigation

Les établissements situés en bordure du désert appartiennent à une civilisation exclusivement fondée sur le contrôle d'eaux superficielles, intermittentes et allogènes. Le génie de ce type de contrôle repose sur une organisation très stricte de la masse d'eau admise sur les terres à irriguer, sur une gestion précise de l'eau ainsi recueillie, et sur une habileté remarquable qui permet de renouveler chaque année l'irrigation de tous les champs d'une même oasis.

Si l'on admet que les conditions climatiques en Arabie n'ont guère varié, au moins depuis le IIIe millénaire, on peut créditer les anciens Yéménites de la mise en pratique savante de ces systèmes d'irrigation. Cela suppose, au moins dès cette époque, une organisation technique complexe destinée à alimenter une population nombreuse, sédentarisée et experte dans le travail des champs.

Shabwa, Raybûn et Barâqish montrent encore de nos jours les traces de réseaux d'irrigation avec leurs champs quadrangulaires "accrochés" aux canaux. À Marib, des digues successives barrant le wâdî Dhana et associées à des vannes en pierre sont édifiées au moins dès le IIe millénaire.

L'apparition de l'écriture

On suppose que l'écriture alphabétique, élaborée en Syrie dans la seconde moitié du IIe millénaire, en s'inspirant de diverses écritures de la région, s'est rapidement diffusée en Iraq et en Arabie. Elle a donné naissance à un alphabet arabique qui comporte plusieurs variantes régionales.

L'alphabet sudarabique, composé de 29 consonnes, fait l'objet de longs tâtonnements aux IXe-VIIIe siàcles av. J.-C., puis se fixe définitivement vers le VIIe siècle sous l'influence sabéenne. De même, après une longue évolution, la préférence pour le sens droite-gauche finit par s'imposer.

L'alphabet sudarabique est encore utilisé après l'avènement de l'Islam au Yémen. Il ne survit plus, de nos jours, que dans l'écriture éthiopienne qui en est dérivée.

L'Arabie heureuse et les Royaumes Caravaniers (Premier Millénaire avant J-C.)

Le caractère le plus frappant des premiers siècles de l'histoire sudarabique est la tendance à l'émiettement politique. Chacune des grandes vallées irriguant les franges du désert est occupée par au moins un État. D'est en ouest, on compte le Hadramawt (dans le wâdî Hadramawt), Awsân (dans le wâdî Markha), Qatabân (dans le wâdî Bayhân) et Saba (dans le wâdî Dhana). La vallée du Jawf est partagée entre Saba et quatre cités-États : Maïn, Haram, Nashshân et Kaminahû. À plusieurs reprises, un souverain tente d'unifier ces petites entités politiques. Il porte alors le titre de "mukarrib" (fédérateur) : l'un des premiers viendrait d'Awsân.

Le Royaume de Saba

L'histoire sudarabique s'ouvre avec le règne du souverain Karibîl Watâr fils de Dhamaralî vers la première moitié du VIIe siècle av. J.-C.. Il réussit à unifier la majeure partie de l'Arabie du Sud, au terme de huit campagnes victorieuses consignées dans une longue inscription à Sirwâh. À la fin de son règne, Saba domine tout le Yémen occidental, et les deux royaumes de Qatabân et du Hadramawt passent sous son contrôle indirect.

Les raisons de ce succès sont difficiles à saisir. Nous supposons une unité tribale préalable, une prospérité agricole entraînant un surplus démographique et une supériorité militaire face à des ennemis désunis, mais ce sont là de simples hypothèses.

Marib, capitale de saba

Les Sabéens ont élaboré dans leur capitale des formules architecturales et un art de la statuaire qui ont servi d’exemples aux autres royaumes.

La plus grande ville d'Arabie du Sud, Marib, se situe au débouché du wâdî Dhana. L'abondance et la fréquence de ses crues explique l'étendue — près de 10 000 hectares — et la richesse de cette oasis. La ville, ceinte d'un rempart de 4,5 kilomètres environ, et dominée de nos jours par un tell médiéval, n'a curieusement jamais fait l'objet de fouille. Seuls deux sanctuaires hors-les-murs ont été dégagés : le "Mahram Bilqîs" ou "Temple d'Awwâm" en 1951-1952 par une mission américaine, et le "Arsh Bilqîs" ou "Temple de Barân" de 1988 à 1997 par les archéologues allemands.

Le Temple d’Almaqah, seigneur de Barân comporte un bâtiment central fait de quatre temples successifs emboîtés les uns dans les autres. Cet ensemble architectural, détruit au début de notre ère, fut remanié puis définitivement abandonné au IVe siècle de notre ère.

Lors des fouilles américaines menées dans le temple d'Awwâm au début des années cinquante, plus de 24 statuettes, souvent fragmentaires, ont été dégagées. Celle-ci, la plus grande et la plus complète, est connue sous le nom de Ma'adkarib.
c'est l'une des plus importantes et des plus belles pièces trouvées à l'heure actuelle au Yémen mais c'est aussi l'une des plus énigmatiques et celle qui est le plus sujet à controverses, témoignant des limites des interprétations de l'archéologie, de l'histoire de l'art et de l'épigraphie.

Les Royaumes du Jawf

Cette large vallée située au nord de Marib, est occupée par divers royaumes.

Le royaume de Nashshân a sans doute longtemps exercé une domination sur toute la vallée. Sa capitale, la moderne as-Sawdâ, se dote, au moins dès le VIIIe siècle av. J.-C., d'importants bâtiments dont un sanctuaire hors-les-murs dédié à Athtar. Ce bâtiment, fouillé par une mission française en 1988-1989, montre un extraordinaire décor incisé de motifs animaliers et végétaux, unique en Arabie du Sud. Au milieu du VIIe siècle av. J.-C., Nashshân comme les deux autres cités-États voisines de Haram et de Kaminahû, sont détruites par les Sabéens.

Le royaume de Maïn dont les origines sont obscures, passe lui-aussi un temps sous domination sabéenne. Jouissant d'une large autonomie, il se spécialise dans le commerce pour le compte des Sabéens : ce sera le seul véritable État caravanier de l'Arabie du Sud. Il organise alors un vaste réseau de comptoirs en Arabie, en Égypte et au Proche-Orient (à Gaza, Tyr et Sidon). Ses deux principales villes, Maïn et Barâqish, se munissent de puissants remparts et d'édifices religieux. Le seul temple fouillé à ce jour, celui de Nakrah à Barâqish, comporte une salle hypostyle à compartiments munie de banquettes et de tables d'offrandes. Ce royaume disparaît vers 100 av. J.-C.

Le Royaume de Qatabân

Cette large vallée située au nord de Marib, est occupée par divers royaumes.

Les premières mentions de Qatabân remontent à l'époque du souverain sabéen Karibîl qui le compte parmi ses alliés. Mais son histoire et son extension demeurent à cette époque bien obscurs. Après une série de guerres contre Saba, le royaume de Qatabân devenu indépendant étend sa domination sur les wâdîs environnants Bayhân, Harîb et Jûba. À la période faste (Ve-Ier siècles av. J.-C.), il s'étend même jusqu'au golfe d'Aden et sur les Hautes-Terres. Sa capitale, Tamna, protégée par une puissante muraille, compte de nombreux édifices civils et religieux, une nécropole et devient un brillant centre artistique. Ce royaume disparaît dans la seconde moitié du IIe siècle ap. J.C.. Les fouilles ont livré quelques uns des plus beaux objets de l’art sudarabique, dont la tête à long cou, surnommée « Myriam », ou encore la paire de lions chevauchés par des Amours.

Shabwa et le Royaume du Hadramawt

Allié un temps aux Sabéens au début du VIIe siècle av. J.-C., le Hadramawt retrouve son autonomie. Son essor repose autant sur la mise en valeur des affluents bien arrosés du wâdî Hadramawt que sur la récolte et le commerce des aromates.

La civilisation du Hadramawt repose sur un substrat dont on commence à peine à connaître l'originalité. L' architecture de brique et la céramique peinte de Raybûn constituent les premiers témoins de cette culture des XIIe-IXe siècles av. J.C.. Puis apparaissent des traits communs à la civilisation sudarabique : une architecture de pierre et de bois, des temples à salles hypostyles aux motifs de panneaux encastrés, des maisons à étages, des coupes et des vases carénés à enduit rouge, des brûle-parfums en calcaire, etc.

Shabwa s'impose peu à peu comme capitale de la région. En aménageant des passes, la ville contrôle les wâdîs voisins. Puis elle étend sa domination, à l'ouest vers le désert de Sabaatayn, à l'est vers le Mahra, et au sud vers l'océan Indien : elle dispose ainsi d'une double façade, terrestre et maritime. Elle sert alors de tête de pont aux caravanes partant vers la Méditerranée et s'associe probablement à Maïn dans le commerce de l'encens. Mais curieusement aucune inscription ne mentionne cette activité. Les premiers rois de Shabwa construisent une vaste enceinte, un premier palais royal et un temple dédié à Sayin.

Les Royaumes des hautes-terres (Ier-Viè siècle après J-C.)

Destins commerciaux et politiques

Un événement majeur se produit en 30 av. J.-C. : Rome s'empare de l’Égypte et contrôle ainsi toute la Méditerranée orientale. Rien d'étonnant à ce qu'elle tente aussitôt de contrôler le trafic qui y aboutit, et de lancer de nombreuses expéditions qui ouvrent la voie à des liaisons régulières vers l'Arabie et l'Inde. Les commerçants alexandrins ou syriens fréquentent alors les ports de l'océan Indien : Aden, Qâni et Samâr.

Cette nouvelle géographie des routes n'est pas sans conséquence sur l'économie locale. On suppose que les États servant de relais au commerce caravanier, Maïn et Qatabân, voient leurs ressources diminuer. À l'inverse, le Hadramawt, avec sa longue façade maritime s'enrichit et construit même une flotte. Des produits de luxe, de l'orfèvrerie, des verres et des tissus arrivent à Shabwa et sont copiés dans toute sa région (wâdî Dura).

Cet enrichissement du Hadramawt explique en partie sa montée en puissance au IIe et au début du IIIe siècle. Shabwa est alors une ville prospère qui s'orne de temples et de hautes maisons ; le palais royal, détruit par les Sabéens vers 230, est reconstruit et magnifiquement décoré de fresques et de sculptures. La ville disparaît au Ve siècle.

La montée de Himyar

À partir du Ier siècle av. J.-C., les tribus des Hautes-Terres jouent un rôle croissant, tandis que s'effacent celles des marges du désert. Au sud, une nouvelle confédération tribale nommée Dhû-Raydân ou Himyar prend Zafâr comme capitale. Au nord, ce sont les tribus de Bakîl, de Dhamarî, de Samî, etc.

Au Ier siècle Saba et Himyar sont unis sous un même souverain, puis se séparent et Saba redevient un royaume indépendant. Saba fonde alors Sanaa qui acquiert le statut de capitale comme Marib. Mais le royaume sabéen entre en conflits incessants avec ses voisins, les Himyarites, les Abyssins, les Hadramawtiques et les Arabes du désert, jusqu'à sa disparition totale vers la fin du IIIe siècle.

Himyar annexe alors Saba puis le Hadramawt, étend son influence sur toutes les tribus proches du Yémen, et au Ve siècle domine l'Arabie du Sud entière et une partie de l'Arabie centrale.

Les questions religieuses

Les différentes religions monothéistes se diffusent largement en Arabie. Le judaïsme tout d'abord, qui se répand lentement dans la société, avant d'être la religion des souverains himyarites au IVe siècle. Le christianisme ensuite, qui reçoit l'appui des Byzantins. De nombreuses communautés chrétiennes fleurissent dans le golfe Persique, en Arabie du Sud et en Abyssinie. Mais les discordes religieuses prennent un tour politique.

L'Arabie devient l'enjeu de deux empires rivaux, l'Empire byzantin chrétien et l'Empire sassanide mazdéen, chacun d'entre eux cherchant à contrôler les routes de l'encens. Le judaïsme affiché des rois yéménites et la persécution des chrétiens à Najrân en 523 signifie un rejet de l'Empire byzantin et de son alliée l'Abyssine chrétienne. Pour la seconde fois — la première au IIIe siècle — cette dernière intervient, à la demande de Byzance, au Yémen. Pendant une cinquantaine d'années, celui-ci devient un protectorat abyssin. Vers 535 le vice-roi éthiopien, Abrahâ, se déclare indépendant et fonde une dynastie chrétienne au Yémen. Ce souverain construit la fameuse cathédrale de Sanaa dont le souvenir survit jusqu'à nos jours dans un toponyme de la vieille ville, Ghurqat al-Qalîs.

Enfin, quand la Perse conquiert le Yémen dans les années 570, la civilisation sudarabique est définitivement ruinée.

Le souvenir de Saba n'est pas totalement perdu à l'époque islamique. Il survit notamment grâce au Coran :

" Je connais quelque chose que tu ne connais pas !
Je t’apporte une nouvelle certaine des Saba.
J’y ai trouvé une femme :
elle règne sur eux,
elle est comblée de tous les biens,
et elle possède un trône immense.
Je l’ai trouvée, elle et son peuple,
se prosternant devant le soleil
et non pas devant Dieu.
Le Démon a embelli leurs actions
à leurs propres yeux ;
il les a écartés du chemin droit ;
ils ne sont pas dirigés. "

(CORAN, Sourate XXVII Les Fourmis).

La fin des grandes irrigations

L'une des raisons du transfert des richesses agricoles vers les Hautes-Terres pourrait être liée au déclin des oasis des marges du désert. Ce phénomène, difficile à apprécier, est entre autre lié à l'incapacité des ingénieurs hydrauliciens à faire face à l'alluvionnement des périmètres irrigués. Une vingtaine de mètres en une vingtaine de siècles, et les champs se trouvent exhaussés au point de ne pouvoir recevoir les eaux des crues. Seuls des États forts et des travaux gigantesques peuvent remédier à de telles situations.

À Marib, la digue barrant le wâdî Dhana, longue de 650 mètres, est rompue par les flots à plusieurs reprises. Ses réparations constituent l'ultime sursaut d'une civilisation agricole aux abois. Peu de temps après les derniers travaux sous le règne d'Abrahâ, la digue est définitivement emportée. C'est un événement considérable dont le Coran se fait ainsi l'écho :

" Les habitants de Saba avaient, dans le pays qu'ils habitaient, un signe céleste : deux jardins, à droite et à gauche...Mais les Sabéens se détournèrent (de Nous). Nous déchainâmes contre eux l’inondation d'al-'Arim (la digue) et Nous changeâmes leurs deux jardins contre deux autres produisant des fruits amers, des tamarins et quelques fruits du petit lotus... Ils ont agi injustement envers eux-mêmes. Nous les rendîmes la fable des nations et Nous les dispersâmes de tous côtés "

(CORAN, Sourate XXXIV, Saba ).

Quatorze siècles après, l’État yéménite entreprenait la construction d'un nouveau barrage plus en amont.
 

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