Mourir est un enchantement

de Yasmine Chami

Published by Brigitte Nérou | On 26 October 2017

Au travers de photos anciennes retrouvées par l'héroïne de « Mourir est en enchantement » de Yasmine Chami, le portrait tout en finesse d'une famille de la  bourgeoisie intellectuelle marocaine, de la fin des années 1960 à nos jours. Ce roman a reçu l'une des deux Mentions spéciales 2017 du Prix de la littérature arabe créé par l’Institut du monde arabe et la Fondation Jean-Luc Lagardère.

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Yasmine Chami © Thierry Rambaud /IMA Thierry Rambaud / IMA

Fruit du hasard? En attribuant une mention spéciale à Yasmine Chami pour son roman Mourir est un enchantement, le jury du Prix de la littérature arabe semble avoir eu à cœur de faire contrepoids à Réda Dalil et à son Best-Seller, auquel il avait, l'année dernière… décerné une mention spéciale!

Cette société marocaine contemporaine honnie par Sara, l'héroïne de Mourir…, est dépeinte fond et forme par Dalil. Sara  qui « s'accroche à un monde où l'estime de soi était liée à une attitude, c'est ça, un monde où les causes humaines, les livres, la musique, avaient un poids. […] Une violence nouvelle est entrée partout, avec la puisance devenue presque infinie de l'argent, l'arrogance des nouveaux possédants ». Ceux-là mêmes (la parole à Dalil, dans l'interview accordée l'année dernière à l'IMA) « qui se sont embourgeoisés de façon aussi rapide que massive et vivent par conséquent une situation d’anomie où le lucre, l’apparat, la représentation, prennent le dessus. Il s’agit d’une caste où le capital économique a phagocyté le capital culturel et où l’artiste devient une sorte de monnaie, un accessoire qui, selon sa cote du moment, procure du symbole. »


Sara a mis très longtemps à entrer dans sa vie, si longtemps occupée de sentir résonner en elle celle de ses aînés; et la voilà peut-être sur le point de quitter cette vie, au moment où elle commence à s'éprouver pleinement vivante.

On l'aura compris, le roman de Yasmine Chami est « celui de la nostalgie », ce que n'a pas manqué de souligner Pierre Leroy, président du jury du Prix de la littérature arabe. Qui plus est celui d'une femme dont on apprendra vite qu'elle se sait malade, et qu'elle vit seule avec ses deux fils adolescents.

Une femme que le roman cueille en pleine rêverie, à égrener, en redécouvrant de vieilles photographies, des souvenirs pas si lointains : ceux de son enfance et de son entrée dans l'adolescence, au tournant des années 1970. Cliché après cliché, voici le lecteur faisant corps avec l'histoire d'une famille de la grande bourgeoisie marocaine, toute de culture et d'ouverture, modelée à l'aune de la grande Histoire. Car ce qui aurait pu s'apparenter à un procédé littéraire cède devant la puissance évocatrice de la description. On se prend à se pencher, comme le font les enfants de Sara, sur chaque photographie. A éprouver le temps du bonheur perdu. En somme à sympathiser avec chaque membre de cette grande famille, dont les grands-parents maternels et leur improbable coup de foudre (lui jeune nationaliste, elle épouse d'un militaire français) ne sont pas les moins attachants.

« Sur cette photo, Sara le voit bien aujourd'hui, c'est si clair, sa mère et sa tante ne rient plus aux éclats, elles ne reconnaissent plus ces jeunes gens épousés dans l'ivresse des premiers émois… » Les couples – ceux des parents, ceux des enfants –, se sont délités, on l'apprendra dès les premières pages du roman. Or, la douleur (et la force) que dépeint Yasmine Chami est avant tout celle des femmes, toutes générations confondues. Emblématique Sara, qui « pense à son couple qui n'a pas survécu à l'arrivée des enfants, sans douleur aujourd'hui, juste une tendresse pour la jeune mère fragile qu'elle était alors, inaugurant la réalité devenue si banale des familles monoparentales ».

Ce roman serait-il, secrètement, celui du tort fait aux femmes ?  Au moment de le refermer, nous vient à l'esprit ce vers prêté à Phèdre par Racine : « Ariane, ma sœur, de quel amour blessée, vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée… »

Mourir est un enchantement

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