Terminé
18 novembre 2005

Spleen oriental

Pour les connaisseurs de la tradition spirituelle musulmane, le mot wajd renvoie à l’état d’extase mystique atteint lors du samâa, audition de la parole de Dieu et du chant soufi. C’est ainsi que Ghaïss, Naziha et Khaled ont choisi de nommer leur ensemble, en retenant de ce terme l’acception d’« incapacité de l’âme à soutenir les effusions du désir quand s’éveille le souvenir du bienaimé ». Et ce sont bien de profonds émois que font naître la voix de Naziha Meftah, la poésie de Khaled Roumo et les compositions de Ghaïss Jasser.

L’ensemble Wajd est le fruit de deux rencontres. La première remonte à la fin des années 1960. Nous sommes à la faculté de Lettres de Damas où Khaled et Ghaïss se croisent, choisissent de vivre ensemble et de partir en France pour poursuivre leurs études en littérature française. C’est alors, à Strasbourg, en 1970, que Khaled propose à Ghaïss de mettre des paroles sur l’une de ses compositions. La jeune Ghaïss, initiée à la culture arabe et occidentale par son père journaliste et à la musique par sa mère, auditrice assidue d’Oum Kalsoum et de Sabah Fakhri, a composé son premier morceau de piano à l’âge de 16 ans ; longtemps, elle a gardé ses créations secrètes.
Amoureux des belles lettres, Khaled lui écrit des vers sur mesure, puisant son inspiration dans une nostalgie exacerbée par l’exil et son amour de la cataba, joutes poétiques improvisées et orales que son père aimait à pratiquer. Prévert et Verlaine entre autres libèrent son expression poétique en français qui, à son tour, appelle son expression en arabe.
Plus tard, elle enseigne la littérature, lui devient consultant dans le domaine interculturel. Jusqu’au jour où, lors d’un voyage en Californie en 2002, un producteur écoute les compositions de Ghaïss et, séduit, lui fait enregistrer un disque intitulé Bloom/Primeurs. La compositrice découvre les plaisirs de la scène et du partage de sa musique, qu’elle réservait alors à un cercle d’intimes.

La seconde rencontre est survenue il y a un peu plus d’un an. Après l’enregistrement de Bloom/Primeurs, l a recherche d’une chanteuse capable de reproduire l’émotion des épousailles entre mots et musique s’impose. C’est alors que le poète et la compositrice tombent sous le charme de Naziha lors d’une de ses représentations à Paris. La chanteuse, à son tour, est transportée par la musique de Ghaïss et les poèmes de Khaled.
Naziha, née à Chefchaouen, a été très tôt bercée par les noms de la musique arabe qui font autorité : Fairouz, Mohamed Abdel Wahab, Abdel Halim Hafez… Depuis, elle a diversifié son répertoire avec l’enregistrement de l’album Indifa au Caire et d’un second à Bruxelles avec la formation Quayna, et multiplié sa participation à des événements tels que le festival d’Avignon en 2003 et le festival Cultures du Maghreb à Caen en mars 2005. Le timbre de voix de celle qui fut reconnue, dès 1990, comme «la première voix arabe de Paris» par Radio Orient, n’est pas sans rappeler d’illustres aînées de la chanson arabe classique et moderne.

Telle est la genèse de Wajd, qui nous entraîne de la douce rêverie à la douloureuse déchirure, par la seule grâce d’un piano et d’une voix ; les harmonies instrumentales rappellent la formation classique de Ghaïss, tandis que la voix de Naziha souligne, par ses vibratos, le souffle oriental qui émane de la musique. Les poèmes forment une passerelle toute naturelle entre les deux univers, où l’exil, l’aspiration à la transcendance, la nostalgie et la mélancolie prennent un éclat particulier, dont les reflets se répandent jusqu’aux tréfonds de l’âme.