
Le style bougiote
Né le 17 décembre 1907 à Bédjaïa (Petite-Kabylie), Sadek Bouyahia dit Abdjaoui — en référence à sa ville natale où vécurent, entre autres, Ibn Khaldoun et Sidi-Boumediène El-Ghouti — a suivi un enseignement traditionnel dispensé par les chioukhs Larbi Ben Abbès et Makhchi, au sein de la médersa Sidi El-Betrouni. En 1927, il réunit sa première formation musicale, puis il se rend à Alger pour rencontrer quelques monuments de l’algéro-andalou, comme Dahmane Ben Achour ou Mahieddine Lakhal, et intégrer l’association El-Mossilia. Un autre voyage, cette fois à Tlemcen, l’enrichit artistiquement et intellectuellement grâce aux contacts fructueux qu’il noue avec Cheikh Larbi Bensari, Abdelkrim Dali et Omar Bakhchi. De retour à Bédjaïa en 1937, il fonde deux associations aussitôt dissoutes par les autorités coloniales. Mais c’est compter sans la ténacité de Cheikh Sadek et sa volonté de créer des lieux de rencontre pour les jeunes afin de les initier à la pratique musicale tout en les sensibilisant au nationalisme. L’ouverture d’une radio à Bédjaïa lui fournira l’opportunité de réaliser un travail de vulgarisation et de préservation du patrimoine musical et de montrer ses talents d’animateur et de chef d’orchestre. C’est ainsi qu’il se fait remarquer par la direction de Radio Alger, qui lui propose un passage régulier comme instrumentiste et soliste, accompagné par un ensemble dirigé par les frères Fakhardji. Il obtient une consécration nationale au titre de maâlem (maître) du classique andalou, du hawzi, du ‘aroubi, du chaâbi — dont Bédjaïa est une des villes phares, avec Tizi-Ouzou et Mostaganem — mais aussi de la chanson kabyle. Le tout avec ce style inimitable qui lui est propre, servi par un art exceptionnel de la modulation vocale. Également compositeur (plus de 200 chansons à son actif) et auteur de pièces radiophoniques, Cheikh Sadek a dirigé, du début des années 60 jusqu’à sa disparition en 1995, le conservatoire municipal de l’ancienne capitale des Hammadites, créé à son initiative. Des générations d’artistes, comme Youcef Abdjaoui, Hamsi Boubekeur, Mohamed Raïs, Djamel Allam, Nassima, El Ghazi et Rachid Baouche, dit Abdelwahab Abdjaoui, se réclament de son école. La relève est assurée par d’autres élèves, très brillants, qui se produiront au cours de cet hommage.
D’après Abdelkader Bendameche