Ghani Alani, le gardien du geste
Exposition visuelle et sonore à la bibliothèque de l'IMA
Le maître calligraphe Ghani Alani est aujourd’hui le dernier représentant de l'école de Bagdad. Il est aussi le premier dont le geste aura été sauvegardé grâce à un numérisateur gestuel conçu par le CNRS. Venez vous immerger dans un espace où la calligraphie cesse d'être uniquement écriture pour devenir présence…

Au cœur de l’art séculaire de la calligraphie arabe se trouve l’école abbasside de Bagdad, dont le dernier représentant, Ghani Alani, incarne la perfection et l’innovation.
Le projet Identification du ductus des écritures médiévales (CNRS) révolutionne la préservation du geste au moyen d’un numériseur gestuel, qui capture non seulement la trace écrite, mais aussi le mouvement du calame dans l’air, offrant une modélisation en 3 et 4D. Grâce à cet outil, Ghani Alani est le premier artiste-calligraphe dont le geste sera sauvegardé.
Pour G. Alani, la calligraphie est un cheminement intérieur. Son œuvre constitue l’archive vivante d’un savoir ancien, transmis avec rigueur et humilité. Observer sa main en mouvement, c’est entrer en contact avec une tradition qui parle à travers le corps, scellée par l’ijaza.
Muriel Roiland, Maria Gurrado et Giuseppe Gurrado
“Dans le domaine de la calligraphie, la silsila (chaîne de transmission) des maîtres de l’école de Bagdad est la plus ancienne et la plus illustre. La première ijaza (permission d'enseigner) qui nous soit parvenue date du XIIe siècle et Ghani Alani est aujourd’hui le dernier représentant de cette école, le seul à avoir reçu une ijaza de son maître, Hashem al-Baghdadi (1917-1973).
Dans l’école de Bagdad, « le savoir s’acquiert par le regard, l’observation, la contemplation du maître », précise Ghani Alani. Il ne s’agit pas seulement d’une technique raffinée mais de l’expression intime d’une identité, d’une spiritualité et d’une tradition. Ainsi, quand le dernier maître pose son calame sur la feuille, sa main est le prolongement du geste des générations de ceux qui l’ont précédé, et la promesse de nouvelles créations, habitées par le même esprit.
Pour G. Alani, la calligraphie est un cheminement intérieur. Son œuvre constitue l’archive vivante d’un savoir ancien, transmis avec rigueur et humilité. Observer sa main en mouvement, c’est entrer en contact avec une tradition qui parle à travers le corps, scellée par l’ijaza.
Ses gestes ont été capturés numériquement grâce à des technologies de « motion capture » et transformés en trajectoires dans l’espace. De ces trajectoires naissent des sculptures imprimées en 3D, véritables photographies tridimensionnelles d’un fragment de geste, grave dans l’air, suspendu entre le monde du visible et celui de l’invisible.
A l’intérieur de l’espace d’exposition, une tablette numérique diffuse les enregistrements vidéo et sonores de l’œuvre du maître : une immersion lente et respectueuse dans l’intimité de sa création. Le chant du calame investit l’espace 3D. On se souvient des mots du maître Hashem al-Baghdadi au jeune Ghani : « Ecoute, écoute ton calame ! » Révéler l’acte créatif, c’est restituer son entièreté à la calligraphie, dont la plus grande partie était encore cachée. Un patrimoine immatériel à admirer, comprendre et sauvegarder.”
Muriel Roiland, Maria Gurrado et Giuseppe Gurrado
Il ne s’agit pas de regarder, mais de percevoir. De comprendre sans traduire. Car dans chaque pli de ces tracés vit l’essence invisible de celui qui a écrit.
Giuseppe Gurrado
Et le geste devient forme…
Au cœur de l’Institut du monde arabe, un parcours suspendu prend vie, une installation qui ne se laisse ni totalement expliquer, ni pleinement déchiffrer. Délibérément, le degré d’exposition reste partiel, incomplet. Comme les gestes authentiques : ils ne s’expliquent pas, ils se traversent.
Ici, le visiteur est invité à s’immerger dans un espace où la calligraphie cesse d’être uniquement écriture pour devenir présence. Les sculptures qui habitent ce lieu sont des tracés, mais pas seulement. Elles ne représentent pas un mot, mais le mouvement même qui l’a engendré. Chaque courbe, chaque torsion est une mémoire du geste. Une mémoire vivante.
Pour la première fois, ce qui s’efface habituellement – l’air déplacé par la main, le frémissement imperceptible de la tension, le rythme d’un savoir transmis – devient tangible, solide, éternel. La partie invisible de l’écriture, celle qui précède l’encre et la dépasse, prend corps.
Elle est là, sculptée, et pourtant légère. Elle est là, et elle nous regarde. Le parcours n’est pas didactique, ni illustratif. Il est contemplatif. Il invite à s’arrêter, à écouter un temps plus lent. Un temps fait d’attention, de précision, de respect.
Technologie et artisanat se rencontrent non pour simplifier, mais pour protéger. Pour offrir au geste un nouvel espace où continuer d’exister, au-delà de la feuille, au-delà du présent.
Il ne s’agit pas de regarder, mais de percevoir. De comprendre sans traduire. Car dans chaque pli de ces tracés vit l’essence invisible de celui qui a écrit.
Et cette présence, désormais, demeure. Intacte. Immortelle.”
Giuseppe Gurrado, commissaire de l’exposition






