Terminé
05 février 2005

Rimes hip populaires

Tout petit, Karim Brahmi, dit Rim’K ne s’aventurait guère hors de sa chère cité Camille Groult à Vitry et son monde extérieur est celui qu’évoquent ses parents, à savoir l’Algérie et la jolie ville historique Bédjaïa. Dans sa famille, on écoutait religieusement Idir, Aït-Menguellet, Allaoua Zerrouki et Chérifa ou le grand maître El Hadj El Anka. En somme, toute cette culture de l’exil qui s’est douloureusement forgée dans les cafés de Barbès ou Belleville. Mais du côté des frères et sœurs, l’heure était au hip hop, véhiculé alors par Dee Nasty ou Lionel D., au r&b ou à la funk.
A 14 ans, Rim’K noircissait des pages sans pour autant songer à un usage artistique jusqu’au jour où, scellant une alliance ethnique avec ses potes Yohann Duport alias A.P., l’Antillais, et Mokobé le Malien, il décide de se jeter dans le bain rap. Les trois mousquetaires, qui fonderont le 113 en 1996, avec la bénédiction du collectif Mafia K-1 Fry, vont d’abord écumer, dès 1994, les MJC d’Orly ou de Vitry. D’emblée, ils se distinguent par un ton original, un « flow» séduisant, des textes intelligents, souvent sous la fine plume de Rim’K, et un choix de samples en harmonie avec leurs propos. Leurs tout premiers supporters sont les gens de leur quartier qui se déplaçaient en masse pour les encourager.
En 1998, les trois complices sortent enfin leur premier EP, Ni barreaux, ni barrières, ni frontières, fort notamment du titre Truc de fou, à la fois provocateur et annonciateur d’un style hip hop hors des sentiers battus par les aînés et se refusant au discours-lieux communs de certains de leurs homologues. On savait qu’en banlieue, on n’entendait pas que l’alarmante musique des sirènes de police mais là, voilà une démarche qui a de quoi convaincre même ceux qui perçoivent les cités avec une mentalité d’assiégés. Le titre est retenu par Sky Rock, hante avec d’autres quelques compilations et vaut au trio d’obtenir des propositions sérieuses d’une maison de disques.
Et vint, fin 1999, le somptueux Princes de la ville et, avec ses samples recherchés, ses sujets traités de manière réaliste, sans négliger une bonne dose d’humour (le pays des origines, ridiculisation des politiciens, charge antidrogue peu banale…), l’album frappe vite les esprits. Et puis il y a Tonton du bled, le premier morceau rap qui a réconcilié la génération Peugeot-Citroën-bâtiment avec celle qui déambule en Air Max TN (Nike modèle « requin »). Le tout est justement récompensé par deux Victoires de la musique. L’album suivant, attendu au tournant, déroute pas mal de fans de la première heure, obligeant le 113 à le rééditer en y injectant de nouveaux titres plus conformes à l’esprit initial et initiatique. Toutefois, comme dans tous les groupes, arrive un moment où l’expression en collectif bride un peu trop la sensibilité personnelle, le désir naturel d’émettre sa propre opinion sur un vécu, des choses vues et pensées. En tournée avec le 113 au pays natal de ses parents, il redécouvre l’Algérie et une situation dramatique qu’une âme élevée ne peut taire. Il renoue avec ses origines par des déplacements fréquents à Bédjaïa, après un détour par Wahrane (Oran), et à chacun de ses passages, il dialogue avec les jeunes et s’enquiert de leurs rêves les plus fous.
Cette sorte de quête lui inspirera, en grande partie, l’album, L’Enfant du pays (Small/Sony), son premier en solo, où il porte un regard neuf et réaliste, parfois à la limite du cru, sur ici et là-bas. Entre racines sans « ethnicisation » et devenir sans fermeture sur d’autres horizons. Si le hip hop en reste la base, Rim’K va largement au-delà du rap en introduisant de vrais instruments et en nous transportant sur une planète où la soul a quelquefois le blues, le r&b se mue en raï & beur et la mélodie kabyle retrouve de nouveaux accents.

R.M.