
L’exposition réunit notamment des pièces exceptionnelles du Metropolitan Museum of Art de New York et du Museum für Islamische Kunst de Berlin, ainsi que les plus belles pièces de la Fondation Calouste Gulbenkian de Lisbonne où elle sera présentée à partir du printemps 2005.
L’art du tapis est l’un des plus représentatifs et des plus fascinants du monde musulman. L’Institut du monde d’arabe réunit ainsi à l’occasion de l’exposition Le Ciel dans un tapis 56 pièces exceptionnelles datant de l’âge classique (XVe au XVIIIe siècle), principalement tissées en Égypte mamelouke, en Turquie ottomane ou en Perse safavide.
Cet ensemble illustre la richesse et la diversité extrême de ce qui apparaît bien comme un art – au sens plein du terme –, d’une sophistication et d’une profondeur très grandes. Il rend sensible l’évolution des styles et des modes parfois suscitées par l’avènement de nouveaux monarques désireux d’imprimer leurs idéaux au cœur de ces œuvres tissées. Ainsi aux tapis à motifs géométriques, hérités des cours timourides du XVe siècle, succèdent, au tout début du XVIe siècle, le majestueux tapis à médaillon central, emblème de la souveraineté qui semble accompagner la prise de pouvoir de Chah Isma’îl en Iran, et des tapis à grands thèmes floraux, dont la mode est lancée en Turquie ottomane dès le début du règne de Soliman le Magnifique.
Mais l’exposition propose un éclairage nouveau sur l’écriture décorative du tapis. L’apparition d’une troisième dimension, grâce au jeu des motifs, donne de la profondeur à l’image tissée (au-delà de l’horizontalité et de la verticalité) : les motifs, selon leur valeur chromatique et leur découpe, donnent l’impression de se situer sur des plans différents comme les éléments d’un décor sur une scène de théâtre. Et c’est précisément cette combinaison des différents plans – technique utilisée dans les miniatures persanes – qui a sans doute passionné les peintres savants de la Renaissance italienne. Ces derniers se sont fait les véritables théoriciens et maîtres d’œuvre de la perspective, et ont souvent représenté des tapis orientaux dans leurs toiles.
Les figures "tombées du Ciel" s’inscrivent dans la tradition de l’art islamique
L’organisation de l’espace fait du tapis une sorte de territoire idéal dicté par une très ancienne symbolique du sol qui relève autant du travail des peintres de cour de l’Orient musulman que des traditions décoratives des peuples d’Orient et d’Asie.
Les tapis présentés dans l’exposition illustrent l’avènement des grands décors sous l’égide des États musulmans de l’âge classique.
Ces décors émanaient des milieux cultivés qui entouraient les souverains : philosophes, artistes et ornemanistes. La plupart des constructions décoratives employées dans les tapis s’inscrivent dans les traditions de l’art islamique. Le décor du tapis se présente comme une construction continue, arbitrairement découpée par la bordure d’encadrement, telle une fenêtre ouverte sur le Ciel.
Le territoire du tapis prend une portée symbolique : il semble refléter une partie des Cieux qui enveloppe le monde d’ici-bas.
Sur cette base esthétique commune, les cours rivales de l’Orient musulman ont tenu à donner des versions qui les distinguent, car tout programme iconographique est porteur d’un message politico-religieux. Les tapis persans, à partir de l’avènement de Chah Isma’îl et de l’instauration du culture des Douze Imams, privilégient les effets de métamorphose. La Lumière, déployée dans le médaillon central du tapis, constitue dès lors ce vers quoi tout peut se résorber. En revanche, les Turcs ottomans jouent sur les effets de rupture et d’affrontement, le médaillon central prenant alors l’aspect d’une horloge cosmique. Ces conceptions savantes, véhiculées par les tapis de cour, sont spontanément, ou intuitivement, relayées par les ouvrages des tisserands nomades ou villageois.
Ainsi le tapis, seul ornement de l’habitat, est une sorte de petit monde,
où l’on concentre toutes les énergies. Le titre de l’exposition renvoie à cette écriture incisive, capable de suggérer un monde de " l’entre-deux ", où les idées prennent formes. Le tapis compose un territoire aux figures parfaites, un jardin clos de l’âme, propice à l’exercice du pouvoir, à la prière ou à la rêverie.