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Les années 1940 voient la montée en puissance du cinéma égyptien marqué par le succès des Studio Misr créé en 1935 par l’économiste Talaat Harb. Sans rival, l’industrie cinématographique égyptienne, Nilwood, inonde le marché du cinéma arabe. Avec près de 225 films musicaux entre 1945 et 1965, c’est l’ « âge d’or » des comédies musicales. Le cinéma égyptien est avant tout chantant et dansant ! Les films cherchent à divertir le public : les scénarios sont simples et au service des épisodes musicaux. On s’aime, on se dispute et on se réconcilie. Cette entreprise féconde met sous le feu des projecteurs des femmes exceptionnelles, actrices, chanteuses et danseuses. Samia Gamal et Tahiyya Carioca popularisent la danse orientale. Laila Mourad, Sabah excellent dans le domaine du chant. Hind Rostom, Souad Hosni, Faten Hamama  et tant d’autres crèvent l’écran en jouant aussi bien dans des comédies musicales que des mélodrames. On y découvre aussi des talents comme Dalida qui, avant de s’envoler pour la France, doit ses débuts de carrière au cinéma égyptien. Le 7ème art  est aussi un projet politique exportant un modèle social « à l’égyptienne » dans tout le monde arabe. Si le genre musical est omniprésent et offre des rôles consensuels, les cinéastes du Réalisme égyptien s’appuieront également  sur ces actrices exceptionnelles pour tourner leurs chefs-d’œuvre.

Laila Mourad (1918-1995)

Abboudi Bou Jawde

D’origine juive, elle commence sa carrière à l’âge de quinze ans. Chanteuse à la voix sublime, elle est repérée par le compositeur Mohammed Abdel Wahab qui la choisit en 1938 pour son film Viva l'amour ! Sa beauté photogénique séduit les plus grands réalisateurs. Togo Misrahi lui offre le rôle de Laila qu’elle interprète dans la série de films éponymes de 1940 à 1947. Elle devient alors l’actrice incontournable des comédies musicales. En 1945, elle épouse le réalisateur Anwar Wagdi et se convertit à l’islam. Cette relation orageuse sera rythmée par trois divorces et auréolée des quatre plus grands films de l’actrice dont Flirts de jeunes filles en 1949. Sous le régime nationaliste du Président Gamal Abdel Nasser, ses origines juives compromettent sa carrière. Malgré sa très grande popularité, Leila Mourad décide de se retirer de la scène en 1955. Elle reste jusqu’à ce jour une des actrices les plus aimées du cinéma musical égyptien.

Sabah (1927-2014)

Abboudi Bou Jawde

D’origine libanaise, Sabah est une des plus grandes chanteuses et actrices de l’« âge d’or » du cinéma égyptien. Elle apparaît dans une centaine de films et interprète plus de 3500 chansons. Au cinéma, elle joue aux côtés d’acteurs et musiciens reconnus tels que Farid al-Atrache, Abdel Halim Hafez, Farid Chawki et Rouchdi Abaza. Dans les années 1960, les frères Rahbani lui écrivent plusieurs comédies musicales qui feront les riches heures du festival de Baalbeck. Sabah se tourne aussi vers les cabarets et enregistre son tube Allô Beyrouth qui sera le clip le plus vu sur les scopitones des cafés arabes parisiens contribuant ainsi à faire rayonner la musique libanaise à travers le monde. Extrêmement populaire, elle a également été l'une des premières artistes arabes à jouer au Carnegie Hall à New York, à l'Olympia de Paris et à l'Opéra de Sydney. Son sourire, ses boucles d’or, son regard pétillant et ses robes fantaisistes ont fait d’elle une icône du monde arabe dont la générosité subsiste dans le coeur des libanais.

Samia Gamal (1924-1994)

Abboudi Bou Jawde

Elle débute sa carrière en 1935 dans la troupe de Badia Massabni. Très vite, elle devient danseuse solo et excelle dans le domaine de danse orientale de type sharqi contribuant à populariser le genre. Son style singulier mêle les influences hollywoodiennes, sud-américaines et du ballet classique. Elle forme un couple mythique dans la vie comme à l’écran avec le chanteur Farid al-Atrache et tourne avec lui ses plus grands succès entre 1944 et 1949. Ses numéros dansés dans Madame la Diablesse (1949) d’Henri Barakat resteront le témoignage de sa grande maîtrise technique. Après leur séparation, elle entreprend une tournée aux États-Unis et se retire définitivement du cinéma en 1972.

Faten Hamama (1931-2015)

Abboudi Bou Jawde

Très aimée du grand public, elle est une icône du cinéma égyptien qu’elle marque par son talent pendant un demi-siècle. Elle débute sa carrière à l’âge de sept ans et apparaît dans plus de cinquante-sept films jusqu’en 1993. Elle tourne pour les plus grands réalisateurs égyptiens tels qu’Ezzedine Zoul-Fikar, Henri Barakat et Youssef Chahine. Capable d’interpréter tous les rôles, elle apparaît dans des mélodrames populaires, des comédies musicales et les films réalistes et engagés. Elle rencontre l’acteur Omar Sharif grâce à Youssef Chahine qui les réunit en 1954 dans Ciel d’enfer. Ils vivront une histoire d’amour passionnelle et resteront un des couples les plus légendaires du cinéma égyptien.

Souad Hosni (1942-2001)

IMA

Actrice emblématique du cinéma égyptien, elle est connue comme la "Cendrillon de l'écran arabe". Elle débute au cinéma à l'âge de quinze ans dans une comédie musicale d'Henri Barakat intitulée Hassan et Naïma (1959) puis apparaît dans soixante-quinze films, allant de la comédie aux films policiers et mélodramatiques. Cette brune espiègle et souriante incarne à merveille la jeunesse rêvée des années 1970. Elle devient célèbre dans tout le monde arabe grâce à Méfie-toi de Zouzou (1972). Cette comédie musicale reste plus d'un an à l'affiche. Elle est également l’icône du réalisme égyptien, avec ces deux grands rôles dans Le Caire 1930 (1966) et La Seconde Femme (1967) du réalisateur Salah Abou Seif. Cette grande amoureuse se marie cinq fois. Sa mort tragique en 2001 pendant son exil londonien continue d’alimenter sa légende.

Tahiyya Carioca (1915-1999)

Abboudi Bou Jawde

Légende de la danse orientale égyptienne, elle débute au Caire dans le cabaret de Badia Massabni après avoir fui sa famille à douze ans. Elle y devient rapidement danseuse soliste. Elle introduit dans ses performances des rythmes d’Amérique latine, notamment la carioca (samba). Elle trouve ainsi son nom. Danseuse et actrice, elle tourne au cinéma dans plus de cent-vingt films. Elle y joue souvent des rôles de femmes séductrices. Actrice confirmée, elle apparaît au sommet de son art dans La Sangsue, présenté en 1956 au Festival International du Film de Cannes. Elle met fin à sa carrière de danseuse en 1963 pour diriger son propre théâtre. Sa danse toute en lenteur et en sensualité a fait sa renommée ; sa beauté et son tempérament volcanique, sa légende. Elle se marie quatorze fois et en 1953, elle est arrêtée et emprisonnée trois mois pour ses activités communistes.

Hind Rostom (1931 - 2011)

Abboudi Bou Jawde

Surnommée la « Marilyn de l’Orient », elle est connue pour être une des plus belles femmes du monde arabe et une de ses plus grandes actrices. Elle tourne son premier film à l’âge de seize ans Fleurs et épines (1947) mais il faudra attendre 1955 pour qu’elle obtienne son premier grand rôle dans Les filles de la nuit. Danseuse et actrice à la beauté hypnotique, elle travaille avec les plus grands réalisateurs et incarne en 1958 l’inoubliable Hanuma dans Gare centrale de Youssef Chahine. Cette actrice d’exception est également une femme de caractère. De la pin-up, à l’amante, de la mère à la religieuse, Hind Rostom a joué plusieurs rôles et incarné différentes facettes de la féminité. À l’aise dans le vaudeville comme dans le mélodrame, elle aime mettre en avant la large palette de son jeu d’actrice mais c’est comme grande séductrice qu’elle continue à briller dans le cœur des amoureux du cinéma arabe.

Dalida (1933-1987)

D.R. Orlando Productions

Iolanda Gigliotti, issue d’une famille italienne, est née au Caire. En 1954, elle remporte le concours de Miss Égypte. Ce titre lui ouvre les portes du cinéma égyptien. La même année, elle incarne une « vamp » dans le film Un verre, une cigarette puis une femme fatale dans Le masque de Toutankamon, l’or du Nil. Elle part ensuite à Paris où elle débute une carrière de chanteuse. C’est auréolé de gloire qu’en 1977, la star internationale, reprend une chanson du folklore égyptien, « Salama Ya Salama ». Le succès en France et au Moyen-Orient est vertigineux. Son second titre enregistré « Helwa Ya Baladi », rencontre le même enthousiasme. Le rêve cinématographique de Dalida, attendra 32 ans avant de se réaliser et c’est l’Egypte qui le lui offrira. Le grand réalisateur égyptien Youssef Chahine la choisit pour être l’héroïne du bouleversant film Le Sixième Jour (1986). Elle y incarne, en arabe, Saddika, une blanchisseuse, occasion inespérée de rompre avec son personnage glamour de chanteuse.

Sous les projecteurs

Ces artistes ont imposé, peut-être sans trop le prévoir, une esthétique où l’image de la femme sur les grands écrans est en soi une véritable révolution : glamour, sensuelle, ingénue ou fantasque… L’iconographie n’a rien à envier aux tabloïds américains. Evoluant dans un univers bourgeois et cosmopolite, ces femmes ont incarné une certaine liberté dans leur carrière et dans leur vie. Le star-system et la passion immense que le public a voué, durant des décennies, à ces femmes ne doit pas cacher les conséquences parfois dures de leur exposition publique. Derrière les flashs et les paillettes, toutes ont témoigné des problématiques liées à leur choix de vie et au jugement moral que certains n’hésitaient pas à exprimer.

Les années 1970 : la fin d’un « âge d’or »   

Les lourdes conséquences de la guerre des Six-Jours en 1967 puis la mort de Gamal Abdel Nasser en 1970 signent la fin du rêve panarabe. La crise économique après les deux chocs pétroliers (1973 et 1979), la guerre du Liban (1975-1990) et la montée d’une mouvance religieuse conservatrice, marquent aussi un tournant important dans l’histoire politique, sociétale et artistique du monde arabe. La prééminence culturelle de l’Égypte et du Liban décline alors au profit de la montée en puissance des monarchies du Golfe. D’un point de vue artistique, les comédies musicales disparaissent et les grands représentants de la musique arabe tels qu’Oum Kalthoum ou Mohammed Abdel Wahab s’éteignent. La fermeture de nombreux cinémas au Caire et à Alexandrie symbolise la fin de l’« âge d’or » du cinéma égyptien.

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