Langue & écriture

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2016 geoatlas.com – © Olivier Cabon

À la fois très ancienne et moderne, intemporelle dans le texte coranique mais affirmant son actualité à travers l’Internet et les innombrables chaînes satellitaires, commune aux 22 pays de la ligue des Etats arabes, adoptée par l’organisation des Nations unies comme l’une de ses six langues officielles, quatrième langue dans le monde par le nombre de ses locuteurs (plus de 400 millions), deuxième par l’extension géographique de son usage (répertorié dans 60 pays différents), mais apparaissant au tout dernier rang des langues internationales par la diffusion de son enseignement, et confrontée à multiples défis : telle est la situation paradoxale de la langue arabe.

Où et quand est-elle née ? Quelles sont les grandes phases de son évolution ? Quelle est sa singularité par rapport à d’autres langues ? Quel est son rapport à l’identité culturelle ? Quels défis pour l’avenir ?

Une langue en constante évolution

Née dans la péninsule arabique et ses marges syro-iraquiennes, la langue arabe appartient à la grande famille des langues sémitiques apparues plusieurs siècles avant l’ère chrétienne.

Sa trajectoire aura été marquée par une interaction dynamique avec d’autres aires linguistiques et culturelles. Ce fait est sensible dès l’émergence d’une langue  « proto-arabique », exprimée à travers des alphabets d’abord empruntés à d’autres langues (Akkadien). L’arabe « ancien » est attesté ensuite à travers des inscriptions en caractères nabatéens, dont la plus célèbre est celle d’Al Namâra datée de 328, découverte en Syrie méridionale par deux archéologues français. Jusqu’au VIe siècle, un  dialecte littéraire supra-tribal s’affirme comme la langue de la poésie. L’apparition d’une nouvelle religion au VIIe siècle lui donne sa dimension sacrée à travers ce que Charles Pellat appelle « le premier monument littéraire des Arabes », le Coran. C’est le corpus conjoint du texte coranique et de la poésie antéislamique qui constituera les fondements de l’arabe dit « classique ». 

Langue et écriture Institut du monde arabe IMA / Khoury

L’expansion territoriale de l’Islam conforte l’arabe comme langue de culte mais également de l’administration. Sous la dynastie Omeyyade (661-750), qui fait de Damas sa capitale, l’hégémonie de l’alphabet arabe forge l’unité de la langue dans l’empire.

Cette époque aura été celle des débuts de la codification linguistique, avec la réforme progressive de la graphie, la recension et la transcription au VIIIe siècle des textes anciens transmis par la tradition orale.

Quant au califat abbaside (750-1250), rayonnant à partir de sa capitale Bagdad, il est celui d’une exceptionnelle ouverture sur d’autres cultures, faisant de la langue l’instrument privilégié du savoir, grâce notamment à un vaste mouvement de traduction s’étendant sur deux cent ans (VIIIe-Xe). Ouvrages de médecine, de logique ou de philosophie grecques mais aussi de littérature persane ou d’astronomie indienne sont traduits en arabe, par des traducteurs souvent chrétiens, dans une impulsion donnée par « la Maison de la Sagesse » créée au début du IXe siècle. Le mouvement produira de grands textes de prose littéraire et contribuera à l’éveil de la pensée philosophique et scientifique (astrologie, médecine, astronomie, mathématiques, voire art militaire). C’est l’âge d’or de la science arabe, mais aussi celui de l’humanisme raffiné de l’ « Adab », littérature de l’élite. 

Traité de médecine langue arabe Institut du monde arabe IMA / Khoury

Parallèlement, la survivance de la dynastie omeyyade dans la péninsule ibérique (711-1492) instaurait en Andalousie un bilinguisme arabe-roman, appelé à disparaître après la Reconquista, non sans laisser de nombreuses traces dans le lexique des langues européennes (tous les noms commençant par « Al », entre autres, sont d’origine arabe). A partir du XIe, avec la chute de Tolède en 1085, les grands textes sont de nouveau traduits de l’arabe vers le latin, et ainsi sauvés de l’oubli,  les originaux ayant disparu (notamment lors de la destruction par les Mongols en 1257 de Bagdad et de ses riches bibliothèques).

L’empire ottoman (1299-1923) imposera le turc comme langue officielle dans les pays de la région sous sa domination, et la langue arabe marquera une période de relative latence. Avec le mouvement de renaissance socio-culturelle du XIXe siècle mené par l’intelligentsia arabe levantine, de toutes confessions, s’opère à la fois un retour aux sources et une modernisation de la langue, qui aboutira à « l’arabe littéral », plus proche de la fonction de communication qui est la sienne dans les médias d’aujourd’hui.

Spécificités de la langue arabe

La langue arabe partage avec les autres langues sémitiques plusieurs éléments dont les familles de mots se rattachant à des racines trilitères, une écriture ne faisant pas apparaître toutes les voyelles et un certain nombre de phonèmes emphatiques ou glottalisés. Plutôt qu’une succession linéaire sur la flèche du temps, la langue oppose l’accompli et le non accompli, avec la possibilité d’indiquer la diversité des modes et des temps par préfixes, infixes, suffixes et particules. Cet usage des particules, joint à celui des schèmes morphologiques lui permet d’ailleurs une extrême concision, portée à son apogée dans  la poésie : certains vers lapidaires ont ainsi acquis la pérennité de proverbes populaires. Enfin, la richesse de son vocabulaire est un autre trait distinctif, qui a pu inspirer des titres de livres  tels que « Les cents noms de l’amour en arabe ».

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Pour en savoir plus :

Charles PELLAT, Langue et littérature arabes, Colin 1952
Kees VERTEEGH, The arabic language, Edinburgh University Press 2014
Dimitri GUTAS, Pensée grecque, culture arabe, Flammarion, 2005
Djamel EDDINE KOULOUGHLI, L'arabe, collection Que sais-je, février 2007
« Arabiyya », Encylopédie de l’Islam (nouvelle édition)
Revue Qantara, dossier spécial « langue arabe » avril-mai-juin 1996 https://www.washingtonpost.com/news/worldviews/wp/2015/04/23/the-worlds-languages-in-7-maps-and-charts/

Langue & écriture Institut du monde arabe DR

Langue et identité culturelle

La langue arabe est investie d’une forte charge émotionnelle par ses locuteurs, jusqu’à paraître indissociable de la culture. À l’époque préislamique, la parole du poète est à ce point  valorisée qu’elle lui attribue un rôle social singulier, assimilable à un porte-étendard de la tribu, et le rend dépositaire de sa mémoire. Il retrouve en partie ce rôle, « urbanisé », à la cour des Califes et des princes. Une résurgence moderne et populaire de cette fascination pour la parole poétique est manifeste à travers les figures emblématiques transfrontières de Mahmoud Darwich, chantre du peuple palestinien, ou de la chanteuse égyptienne Oum Koulsoum, dont le large répertoire va du plus sacré au plus profane. La calligraphie, domaine à part entière de l’écriture arabe, a marqué de son empreinte tous les arts, sur tout support : verre, métal, ébénisterie, édifices (l’architecte moderne Zaha Hadid s’en revendiquait elle-même). Le Coran, réceptacle de la révélation et incarnation d’une perfection linguistique jugée inimitable (i’djaz), place la langue dans le registre du sublime. Sur le plan socio-politique et par opposition à la langue turque des Ottomans, musulmans mais non arabes, le mouvement de Renouveau de la « Nahda » au XIXe siècle attribue à la langue une dimension idéologique, que le nationalisme arabe multiconfessionnel confronté aux puissances coloniales au XXe siècle accentue à son tour. Au XXIe siècle, la dérive de régimes despotiques ayant surexploité l’attachement populaire à la langue a pu d’une certaine manière affaiblir cette identification. La langue a néanmoins su épouser les aspirations des printemps arabes. Pour des raisons multiples, la crispation identitaire religieuse dans le monde arabe tend aujourd’hui à se substituer au marqueur identitaire linguistique. Il n’en demeure pas moins que la question de la langue demeure très sensible, voire passionnelle. 

Clavier arabe langue et écriture à l'IMA DR

Défis contemporains

On le voit notamment à travers les controverses sur les rapports entre Arabe littéral et dialectal, qui agitent de temps à autre le paysage politique. Il existe en effet un certain hiatus entre un arabe standard commun à tous les pays arabes (presse, médias, conférences internationales, correspondances officielles, littérature) et les parlers nationaux, utilisés au quotidien. Toutefois, la pénétration croissante de l’internet dans le monde arabe, et l’ouverture d’un espace médiatique sans frontières où les divers registres de langue se côtoient, font émerger un arabe moderne standard simplifié, qui jette de multiples passerelles entre langue commune et dialectes. La réduction du fossé demeure en réalité tributaire du taux de scolarisation dans les pays arabes, comme l’avait relevé le PNUD dès 2003. Plus que ce hiatus, qui a toujours existé, les véritables défis lancés à la langue arabe résident aujourd’hui dans l’instabilité voire l’insécurité de l’environnement dans lequel évoluent les arabophones : celui-ci entrave en effet  la capacité des sociétés à acquérir et à produire du savoir, critère indispensable au rayonnement d’une langue. De même, cette situation  ne peut qu’hypothéquer une politique inter-étatique de modernisation de l’enseignement : celui-ci reste le plus souvent marqué par une démarche traditionnelle. L’IMA poursuit en France sa mission de diffusion de la langue arabe à travers une démarche pédagogique résolument moderne, perceptible dans ses cours laïques et ludiques, comme dans son projet d’évaluation des niveaux de compétence. Une certification officielle des niveaux, inexistante à ce jour, devrait redonner à cette langue vivante une véritable stature internationale. 

NY

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