Cinéma
Rétrospective « Youssef Chahine dans tous ses états »

(COMPLET) Le Retour de l'enfant prodigue

de Youssef Chahine
  • 12 Novembre 2018
  • 20h00
(COMPLET) Le Retour de l'enfant prodigue

Ali est attendu dans le village de Mitchaboura par les siens, les Madbouly, propriétaires d’une petite entreprise, et par les ouvriers pour qui il représente l’espoir...

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En partenariat avec Tamasa Distribution et La Cinémathèque française

Égypte, fiction, 1976, 120’

Scénario et dialogues : Youssef Chahine, Salah Jahine, Farouk Beloufa
Image : Abdel Aziz Fahmi
Son et mixage : Nasri Abdel Nour
Montage : Rachida Abdel Salam
Costumes : Mohamed Ezzat
Décors : Magdy Nached
Chansons : Salah Jahine
Musique : Ali Ismaïl, Kamal Ettawil, Baligh Hamdi, Sayyed Mekkawi
Interprètes : Mahmoud el-Méligui, Magda el-Roumy, Soheir el-Morchidi, Ragaa Hussein, Hoda Soltane, Sid Ali Kouiret, Ahmed Mehrez, Hicham Selim, Choukry Sarhane

Production : Misr International, O.N.C.I.C.

 

Synopsis

Ali est attendu dans le village de Mitchaboura par les siens, les Madbouly, propriétaires d’une petite entreprise, et par les ouvriers pour qui il représente l’espoir. Pour Ibrahim, le fils de Tolba, le retour de Ali, son oncle, doit lui permettre d’aller étudier à l’étranger, ce à quoi s’oppose son père. Pour Fatma, qui a tout sacrifié au nom de l’amour qu’elle voue à Ali absent, c’est la grande désillusion. À son retour, elle se rendra compte qu’il n’est plus ce jeune passionné qui a quitté sa famille par révolte. Pour Hassouna, l’ouvrier, la déception sera d’autant plus grande que c’est lui qui l’avait aidé à partir pour le Caire.

« Je pense qu’il n’y a pas de plus grand modèle des régimes politiques, de leurs structures, que celui de la famille. Aujourd’hui les liens familiaux ne sont plus ceux qui existaient il y a quelques décennies. Il y a une grande tendresse dans ce que je raconte, l’idée que deux frères peuvent emprunter des voies idéologiques différentes. Cela a commencé avec Le retour de l’enfant prodigue. C’était à l’époque lié à ma relation personnelle avec Nasser que je regardais comme un grand frère, avec la fierté de me trouver à ses côtés. Arriva le moment où je me suis trouvé opposé à ce qu’il faisait : Nasser voulait libérer le pays de la tutelle de l’étranger mais il s’y prenait comme un pied. Que faut-il penser de son programme de nationalisation qui a provoqué la fuite des étrangers, en particulier ceux d’Alexandrie ? Cela m’a touché personnellement car il s’agissait à 80 % de mes copains grecs, italiens, arméniens, français. Ce mélange d’origines était magnifique. Il n’y avait aucune raison de les faire fuir, mais ce fut la conséquence de la nationalisation brutale de pans entiers de l’économie. (...) Ces départs ont correspondu pour moi à une rupture de la structure familiale car ces copains, c’était ma famille. Et tout d’un coup, résultat de cette politique, chacun a disparu de son côté. La nationali­sation du canal était un droit, mais la manière dont l’affaire fut conduite en a fait une catastrophe pour le multiculturalisme de l’Égypte. »

Youssef Chahine, entretien avec Colette Milon et Jean-Philippe Renouard – Vacarme, automne 2001

Orange Studio / MISR International Films

Biographie

Gare centrale, Le Moineau, L’Émigré, Le Destin, né a Alexandrie, Youssef Chahine a signé une œuvre généreuse, courageuse, combative, inventive, sans cesse inspirée par sa vie de cinéaste et de citoyen, nourrie du souvenir des films hollywoodiens de son enfance, en particulier les comédies musicales, ne reculant ni devant une reconstitution historique (Saladin, Adieu Bonaparte) ni devant l’évocation autobiographique (Alexandrie pourquoi ?, La Mémoire, Alexandrie encore et toujours).

Pour tous les amoureux de cinéma, égyptien en particulier, Youssef Chahine est une figure incontournable, un nom indélébile, une voix qui s’élève et qu’on associe presque inconsciemment à l’Orient, au monde arabe, au Tiers-monde. Il incarne un cinéma engagé, qui mêle divertissement et combat et qui porte les nuances d’un caractère complexe, souvent mal compris, parfois mal-aimé. Chahine dénonce l’impérialisme tout en aimant l’Occident, s’attaque à l’islamisme tout en défendant le monde musulman, s’oppose aux nationalisations de Nasser tout en tirant à boulet rouge sur l’Égypte oligarchique de Moubarak. Chahine est tout cela à la fois car il est, avant tout autre chose, un esprit libre.

 

Les débuts : Ferveur et désillusion

Bercé par l’âge d’or du musical américain, puis égyptien, des années 1930-1940, Youssef Chahine commence naturellement par là sa carrière : la comédie musicale. C’est alors une industrie en plein essor avec ses illustres danseuses-chanteuses à l’affiche. Il réalise Papa Amine (1950) avec Faten Hamama, La Dame du train (1953) avec Laïla Mourad, Femmes sans hommes (1953) avec Hoda Soltane, Adieu mon amour (1957) et C’est toi mon amour (1957) avec le fameux duo Farid el-Atrache et Chadia. Au même moment, il s’essaie au mélodrame et réalise Le fils du Nil (1951) ainsi que trois autres films avec un jeune homme nommé Omar Sharif qu’il découvre et propulse dans Ciel d’enfer (1954), Le Démon du désert (1954) et Les Eaux noires (1956).

En quête de sens, Chahine se tourne ensuite vers le néoréalisme et signe son premier film d’auteur : Gare centrale (1958). Ce long métrage marque un véritable tournant dans l’esthétique du cinéaste qui veut délibérément rompre avec une certaine superficialité du cinéma de divertissement des années 1950.

Puis, il découvre l’engagement, d’abord dans le nassérisme qui a le vent en poupe en pleine décolonisation du « Tiers-monde ». Il réalise Saladin (1963) sur commande de l’État égyptien, qui connaît un succès fulgurant. C’est alors qu’il est sollicité par l’Union soviétique, en pleine guerre froide, pour Un Jour le Nil (1968) : un film exaltant la coopération entre les deux pays socialistes qui aboutit à l’édification du barrage d’Assouan. Mais Moscou, relayé par le Caire, fait interdire le film qui ne répondrait pas aux directives du Politburo. À son grand regret, Chahine est contraint de modifier son montage. Très vite, le cinéaste étouffe dans la pensée unique ; il s’exile au Liban où il tourne l’opérette Le Vendeur des bagues (1965), une bouffée d’air avec la diva Feirouz sur une musique sublime des frères Rahbani. Mais son pays lui manque, d’autant plus que la débâcle de la guerre des Six Jours le met face à ses responsabilités d’artiste engagé dans une Égypte qui doute.

Après 1967, le cinéma chahinien apparaît sous un nouveau jour, celui de la critique politique ouverte. Le metteur en scène veut guérir en profondeur les maux de sa société, loin des flatteries lyriques d’un patriotisme vide. Il réalise alors son « quatuor de la défaite » : La Terre (1969), Le Choix (1970), Le Moineau (1974), puis Le Retour de l’enfant prodigue (1976) avec lequel il inaugure un genre cinématographique nouveau, « la tragédie musicale ». Les moments musicaux lénifiants n’ont plus lieu d’être ; ils sont remplacés par une musique engagée, porteuse de messages de réforme, de révolte et de liberté.

 

Le retour aux sources

Avec Alexandrie Pourquoi ? (1979), Chahine signe un film autobiographique qui célèbre le souvenir d’une jeunesse insouciante loin des marasmes auxquels le présent la confronte. Une nouvelle fois, il réinvente son style qui jongle désormais librement avec les genres ; il crée selon Yousry Nasrallah « quelque chose de plus libre, qui suit ses propres harmoniques ». Suivra un deuxième film autobiographique, La Mémoire (1982), où il met en scène Oum Kalsoum en concert, en couleurs, sept ans après sa mort ! Deux ans plus tard, Adieu Bonaparte (1985) ouvre la voie à une tradition de coproductions franco-égyptiennes qui va durer jusqu’à la disparition du cinéaste en 2008. Puis, vient Le Sixième Jour (1986), un drame avec Dalida à l’affiche, et un autre film autobiographique, Alexandrie encore et toujours (1990).

 

Le divertissement de combat

L’engagement, le péplum pharaonique et les arts du spectacle (chant et danse) seront réunis dans L’Émigré (1994), film inspiré du récit biblique de Joseph et ses frères. Accusé de profanation de figures sacrées, Chahine connaît la foudre des fondamentalistes musulmans et chrétiens, qu’il arrive ironiquement à réunir contre lui. Face à cet intégrisme religieux rampant des années 1990, Chahine se réfugie auprès de la figure d’Averroès, dans Le Destin (1997), qui rencontre un très bon accueil de la critique lui valant le prix du 50ème anniversaire du Festival de Cannes. Dans L’Autre (1999), le cinéaste met à l’honneur l’intellectuel de renom Édouard Saïd pour pointer du doigt les conséquences d’une mondialisation sauvage. Il revient à un registre plus léger de « pure » comédie musicale avec Silence... on tourne (2001) et Alexandrie... New York (2004) à contenu autobiographique. Il finit sa carrière avec un drame, Le Chaos (2007), où il met en scène la révolte du peuple contre le pouvoir ; film que certains en Égypte qualifieront de prophétique.

Chahine l’humaniste s’éteint le 27 juillet 2008 au Caire, au terme d’une carrière de plus d’un demi-siècle. Tout au long de sa vie, contre vents et marées, l’homme s’est voulu le porte-voix de l’amour, de la tolérance et de la défense des plus faibles.

Amal Guermazi

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