Jack Lang s'exprime sur les attentats

Interview conduite par Zine Elabidine Hamda pour le journal Le Maghreb

Published by Jack Lang | On 4 January 2016
Jack Lang s'exprime sur les attentats
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Jack Lang, Président de l’Institut du monde arabe, répond en exclusivité au Maghreb.

« Je suis contre les interventions extérieures qui ont toujours été malfaisantes. Mais aujourd’hui il n’y a plus le choix, nous devons absolument nous battre »

Interview conduite à Paris par Zine Elabidine Hamda.

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Une Le Maghreb

Dans les circonstances douloureuses par lesquelles passe la ville de Paris et la nation Française, nous avons voulu donner la parole à M. Jack Lang, ancien ministre et actuel Président de l’Institut du Monde Arabe à Paris qui a la double connaissance des arcanes du pouvoir et du Monde arabe qu’il a longtemps parcouru. C’est un ami de la Tunisie, et une des premières personnalités qui soutient, par ses prises de position et ses actes, le processus démocratique en Tunisie. Jack Lang suit, à travers les manifestations organisées par l’IMA, la réalité du monde arabe suite à l’irruption des révolutions et à l’émergence des groupes jihadistes en son sein. Il a contribué à organiser des manifestations à l’IMA qui traitent des questions brûlantes de l’islam, de sa relation à l’État et à la société, de la montée des groupes jihadistes, de la possibilité de moderniser la pensée islamique, et ce en particulier à travers des forums comme celui animé par le philosophe Abdennour Bidar autour de la relation de l’islam avec les libertés et la société, sujet traité  à partir de points de vues différents qui s’inscrivent dans les sciences sociales. Le Maghreb a eu avec Jack Lang, dans son bureau, l’entretien qui suit.

La France est passée ces jours-ci, après les attentats du vendredi 13 novembre, par des moments de douleur et d’alerte. Quel est votre sentiment en tant que président de l’IMA suite à cette tragédie ?

 Ce n’est pas seulement en tant que président de l’IMA, mon sentiment de citoyen, de personne, c’est que c’est une monstruosité, une abomination, qui dépasse tout entendement. Comment des êtres humains peuvent-ils se livrer à des actes d’une telle barbarie, d’une telle sauvagerie ? Mais comme vous le savez, en Tunisie malheureusement il y a eu des actes un peu comparables. Au Bardo ou à Sousse ou ailleurs, des fanatiques complètement endoctrinés qui tout à coup croient accomplir un acte d’héroïsme alors qu’ils s’attaquent lâchement à des gens sans défense. C’et lié aujourd’hui à ce système totalement perverti du terrorisme fasco-islamiste, Daesh et Al Qaeda. Des personnages se sont institués Califes et veulent construire leurs propres territoires. Ils fanatisent des jeunes ignorants qu’ils recrutent dans différents pays et à travers des réseaux sociaux. Ces jeunes, par naïveté, par ignorance, par inculture, par désœuvrement aussi se laissent prendre dans les filets de ces fanatiques qui, eux, savent ce qu’ils font. Et savent s’enrichir et imposer la voie de leur fanatisme.

Comment expliquez-vous que des jeunes Français, nés en France, qui ont eu une éducation à l’école de la République, puissent un jour se retourner contre leur propre pays ?

Jack Lang – Vous savez, il y a des jeunes qui perdent pied sans nécessairement devenir des terroristes. Mais qui finissent par accomplir des actes, d’autres types d’actes criminels. Voyez ce qui se passe dans certaines villes, à Marseille ou ailleurs, en liaison avec la drogue. Malheureusement, dans la société française actuelle, il y a des jeunes qui, une minorité, se marginalisent progressivement, perdent confiance en eux, commettent des délits jusqu’au jour où ils découvrent un sauveur suprême à travers les réseaux sociaux, et ils trouvent étrangement une sorte de sens à leur vie triste. Ce n’est pas facile d’expliquer. D’autres jeunes, ou moins jeunes d’ailleurs, par désespérance ou par facilité, par perte de tout sens, deviennent des criminels. Dans ce cas précis, ce sont des criminels qui prétendent agir au nom de Dieu, au nom d’une croyance et donnent une coloration religieuse et philosophique à des actes qui sont quand même criminels, des actes d’assassinat. L’islam ne reconnait pas le droit à l’assassinat. C’est une déviation, un détournement d’une religion pacifique.

Est-ce que vous ne pensez pas que la France – pas uniquement le gouvernement actuel de la France – a une certaine responsabilité après avoir initié une intervention en Libye, une autre au Mali, des bombardements en Irak, maintenant en Syrie, est-c-que ce n’est pas un retour de manivelle ?

Il ne faut pas tout mélanger. Ces faits sont différents les uns des autres. L’intervention française au Mali est une nécessité absolue. Si la France n’était pas intervenue au Mali à la demande du gouvernement malien, nous aurions aujourd’hui un gouvernement terroriste à Bamako. Et ce gouvernement terroriste rayonnerait à travers une bonne partie de l’Afrique. Ce serait dramatique. Donc l’action menée au Mali est une action utile et nécessaire.

Pour la Libye, c’est une autre histoire. C’est monsieur Sarkozy qui au fond a détourné une opération de protection de la population libyenne en la transformant en une action de destruction de l’État libyen. Comme il a été incapable par la suite d’aider les Libyens à construire un État, c’est le désordre et le chaos.

Quant à l’Irak, le vrai coupable n’est ni la France ni d’autres États. Ce sont les États-Unis. C’est Bush qui est un criminel de guerre. C’est Bush qui a engagé une guerre illégale, illégitime, contraire au droit international en se fondant sur des mensonges éhontés prétendant que l’Irak détenait des armes de destruction massive. Et l’intervention de Bush en Irak a provoqué des dizaines de milliers de morts et de destructions, désorganisé le pays, a créé une véritable guerre de religion. Et le père de Daesh, c’est M. Bush. On n’en parle pas beaucoup, mais c’est lui qui a entraîné cette situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui.  Bush, homme de guerre, a mis en place un gouvernement irakien qui a écarté les sunnites jusqu’à provoquer une désespérance là-encore et alimenté cette tentative de créer un État islamique. Il y a aussi Assad qui a fait la guerre à son peuple, qui a tué des dizaines de milliers de Syriens et qui, lui aussi, a permis à Daesh de prospérer à partir de cette guerre, Le désordre, le chaos, l’instabilité, l’agression extérieure, l’impérialisme, les dictatures aussi, tout cela donne la possibilité à des extrémistes de se constituer en groupes.

Aujourd’hui, la France en riposte essaie de détruire des bases de Daesh. Il n’est pas impossible que nous puissions réussir  à créer une alliance plus vaste avec la Russie, qui s’aperçoit que le terrorisme est une réalité, avec l’Iran peut-être, avec les États-Unis et d’autres pays. Je suis contre les interventions extérieures qui ont toujours été malfaisantes. Mais aujourd’hui il n’y a plus le choix, nous devons absolument nous battre. Mai si aujourd’hui, il y a un accord international parrainé par les Nations Unies, alors c’est diffèrent. J’espère que nous pourrons venir à bout de ces criminels. En même temps, il faut que dans chaque pays il y ait un effort pour redonner à la jeunesse un espoir, un chemin, une perspective.

Depuis plusieurs mois, vous avez initié à l’IMA des réflexions sur l’islam et sur le Monde arabe beaucoup plus originales que par le passé. Vous lancez les Rendez-vous de l’histoire du Monde arabe, est-ce que vous pensez que les forums de l’IMA pourraient s’intégrer dans cette nouvelle « guerre contre le jihadisme » ?

Oui,  je crois, contre le jihadisme et contre l’extrême droite aussi. Ce sont deux ennemis qui sont parfois deux alliés objectifs. L’extrême droite ne tue pas, elle inocule dans les cerveaux des idées xénophobes et racistes. L’IMA peut contribuer à faire reculer l’ignorance, les clichés, et à faire comprendre que le Monde arabe est riche par son histoire et son présent. Notre ambition, c’est de donner à la société occidentale une vision plus positive et plus séductrice, plus juste de ce qu’est le Monde arabe dans sa diversité. D’une certaine manière nous contribuons, modestement sans doute, à désarmer les extrémistes et, en tout cas, à renforcer ceux qui veulent que la raison l’emporte sur la force, sur la folie et que l’esprit de civilité l’emporte sur la sauvagerie ou la barbarie.

Jack Lang Né en 1939, diplômé de l’Institut d’Études Politiques de Paris, Docteur en Droit et agrégé de Droit Public et de Sciences Politiques, Jack LANG a été professeur de Droit Public... Lire la suite
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Jack Lang, Président de l'Institut du monde arabe, présente les ambitions du tout nouveau blog...

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